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à un imbroglio assez bizarre où se sont trouvées mêlées l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie, qui n’est après tout qu’une suite, un épisode de cette politique d’extension ou de conquêtes lointaines pour laquelle les gouvernemens aujourd’hui risquent leurs forces, leurs ressources, l’indépendance de leur action et leurs relations.

Tout, en vérité, est étrange dans ces derniers incidens, qui ont mis en jeu les plus grandes puissances et où s’est fait sentir, par un brusque coup de gouvernail, l’intervention d’un homme accoutumé depuis longtemps à profiter des circonstances, à être l’arbitre de l’Europe. Que l’Angleterre ait été un peu étonnée et émue de se voir si vivement prise à partie par M. de Bismarck dans un moment où elle ne s’y attendait peut-être pas et où elle n’avait pas besoin de nouveaux embarras, on le comprend bien. Il est certain que l’Angleterre, avec toutes ses affaires intérieures et extérieures, avec les innombrables intérêts de prépondérance qu’elle s’est créés et qu’elle a plus que jamais de la peine à défendre, n’est pas dans une situation facile. Elle n’est point dans une phase heureuse. L’expédition d’Égypte, où elle s’était si impétueusement engagée et où elle n’a déployé, depuis deux ans, que les irrésolutions, les contradictions d’une politique Bans suite et sans prévoyance, ne lui a point évidemment réussi. La chute de Khartoum et la mort de l’infortuné, de l’héroïque Gordon, ont déconcerté ses efforts tardifs. Non-seulement elle ne peut plus songer aujourd’hui à remonter le Nil jusqu’à la capitale du Soudan, devenue la possession du mahdi, mais elle est même obligée d’abandonner ce qu’elle avait conquis par sa marche à travers le désert. Elle ne va pas à Métammeh, qu’elle ne peut plus attaquer, ni à Berber. Elle garde tout au plus sur la Mer-Rouge quelques points tels que Souakim, et le reste de la petite armée de lord Wolseley va chercher des positions plus sûres dans les régions du Ras-Nil. L’Angleterre ne renonce certainement pas à reprendre son œuvre, à recommencer l’expédition dans des conditions meilleures, avec des forces mieux proportionnées à l’entreprise et par une saison plus favorable. Provisoirement, elle, est obligée de s’arrêter, de se replier, d’avouer à demi, si l’on veut, son impuissance, et les mécomptes militaires qu’elle a essuyés ont sans doute quelque peu nui au succès de sa diplomatie auprès des puissances européennes, qui n’ont pas toutes montré jusqu’ici un égal empressement à accepter ses propositions d’arrangemens financiers. De sorte que rien n’est fait, que tout est incertain et obscur en Égypte. D’un autre côté, en pleine Asie, a surgi presque au même instant une autre difficulté qui ne préoccupe pas moins les Anglais. Ce n’est pas d’aujourd’hui, on le sait bien, que s’agite entre l’Angleterre et la Russie cette question de la possession d’Hérat, de l’intégrité de l’Afghanistan, de la délimitation de ces régions asiatiques également surveillées et convoitées par les deux nations. Il se peut qu’on