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effet : j’ai aperçu là toutes les racines de ces fleurs que M. Claretie, à présent, vous propose en bouquet. Allez-y voir, si ma garantie ne vous suffit pas : lisez le roman. Vous y trouverez des caractères, modifiés par des passions ; vous en estimerez la suite et la vraisemblance. Regardez les origines, la nature et l’éducation de Marsa : vous comprendrez qu’elle ait aimé Menko, parce qu’elle était à la merci du premier venu qui incarnerait à ses yeux la légende de son pays natal ; vous comprendrez ensuite qu’elle le méprise et le haïsse, parce qu’il lui a caché qu’il n’était pas libre et qu’elle a horreur du mensonge. Assistez alors aux luttes de son amour et de ses scrupules ; admirez par quelle subtile et solide psychologie l’auteur explique qu’elle se dupe elle-même et se justifie son silence : voilà justement où gît la nouveauté du cas, que vous pensiez peut-être avoir trouvé maintes fois dans la littérature contemporaine. Marsa voudrait parler ; mais quoi ! ne serait-ce pas s’immoler à la fois et immoler celui qu’elle aime ? Ne vaut-il pas mieux se taire, être heureuse un jour, et disparaître ? Une mort soudaine et discrète ne sera-t-elle pas une expiation suffisante de cette félicité si brève ? Et cette félicité, après tout, Marsa n’y a-t-elle aucun droit ? N’a-t-elle plus ni cœur ni sens qui réclament leur lot, parce qu’un passant a effleuré sa jeunesse, et quel passant ? Un homme aboli par son mépris, un malheureux qui n’existe plus pour elle. Toute cette série de sophismes est présentée par le romancier d’une façon si ingénieuse et si forte que nous prenons part aux délibérations de Marsa, et aussi à ses décisions ; témoins de ses angoisses, nous devenons ses complices. De même nous parvenons à excuser Menko ; faible de caractère, extrême en ses passions, cet homme nous est sympathique. Il livre les lettres d’une femme, il les envoie à son rival, mais, pourquoi ? Parce qu’il est furieux de jalousie, désespéré, parce qu’il n’a plus que ce moyen d’empêcher que cette femme appartienne à un autre. Il est criminel, oui, sans doute ; mais il fait croire le lecteur à son crime, il l’y intéresse, il l’y compromet. Quant au mari outragé, après ces mois de solitude où nous avons vu se distiller sa douleur et s’épuiser sa vie, après tant d’apparitions de la chère image qui reste seule maîtresse de son âme, pouvons-nous ne pas comprendre et ne pas approuver son pardon ? Ainsi peu à peu nous pénétrons dans l’intimité des personnages, nous nous associons à leur cause. Préparés de la sorte, nous serons bien aises de regarder, au Gymnase, les illustrations du roman.

Voici d’abord un prologue. On s’est aperçu, parce que les uniformes magyars et les costumes tziganes s’y groupent harmonieusement, qu’il était purement pittoresque : à moins de réprouver presque tout le reste et de faire mettre au pilon ces chromolithographies hors texte, je ne saurais m’en fâcher. Cette première planche nous avertit, par