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le Cid pour la tragédie classique, Hernani pour le drame romantique, Henriette Maréchal l’était pour le drame moderne. Encore était-ce un Hernan auquel on devait une revanche comme à cet autre opprimé : le Roi s’amuse ; et la revanche devait être d’autant plus belle que l’oppresseur, eu l’espèce, n’avait pas été le gouvernement, mais le public. C’était nous qui avions péché envers Henriette ; ou, si ce n’était nous, c’étaient nos frères : comment nous procurer assez de chanvre, assez de cire pour l’amende honorable qu’il convenait de faire à cette victime ? Il n’était pas mauvais que lus cordiers et les fabricans de cierges eussent un quart de siècle pour leurs provisions : c’était la seule raison qu’avaient les fanatiques de se résigner à ce long délai. D’autre part, quelques impénitens soutenaient que la sottise politique n’avait pas soufflé toute seule, ni même la première, dans les sifflets de 1865 ; qu’un pur esprit de justice littéraire avait donné le signal de l’exécution ; que le premier acte de cet ouvrage était une souillure pour la chaste scène de la Comédie française, une ordure à balayer du temple, et que le reste, sur un théâtre quelconque, n’eût jamais été qu’un méchant morceau de drame.

Au rideau !… — Hé quoi ! c’est la cohue des masques jetée d’emblée sur la scène ! M. Porel s’est privé des précautions oratoires prises jadis par M. Édouard Thierry. N’écoutant que son courage, il a supprimé le prologue où lu muse de Gautier, par un joli tour, avertissait le public des horreurs qu’il allait voir. Comment cela va-t-il y tourner ? On rit ; — sans doute un rire de scandale ?

Mais non : la première scène passe sans encombre, et puis la seconde et la troisième ; la parabase du Monsieur en habit noir, son altercation avec les clodoches, ses adieux à la vie de garçon, l’entretien de Pierre avec un domino, tout ce kaléidoscope où des épisodes de bal masqué se succèdent, tous ces tableaux de lanterne magique, entre deux desquels le héros de la pièce nous est présenté gravement par son frère, tout cet appareil de carnaval est accepté par le public sans que l’enthousiasme apprêté de ceux-ci trouve à se déclarer contre l’indignation prévue de ceux-là. Sans doute, on a réfléchi que la mascarade et la farce, après tout, n’étaient pas si nouvelles sur la scène classique. Ou a vu récemment M. Vautier, mandé tout exprès chez Molière, sauter sur le dos de M. Thiron en criant : « Hou ! » Récemment aussi, on a vu M. Coquelin perché sur une table et faisant les grands bras, par expresse permission de Regnard. On ne s’étonnerait guère aujourd’hui de lire une invitation ainsi rédigée : « Le muphti du Bourgeois gentilhomme et Crispin du Légataire prient le Monsieur en habit noir de venir passer la soirée à la Comédie française… » Voulez-vous qu’on s’étonne à l’Odéon ? Plutôt que de se fâcher, on remarque le curieux accord de cette