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maintien des conditions indispensables à un ensemble organique aussi différencié.

Il est dès lors admissible que les moyens de conservation et ceux de résistance, c’est-à-dire les appareils organiques et les armes défensives ou offensives, soient devenus à la longue l’apanage des êtres perfectionnés dont la perte sans eux aurait été pour ainsi dire assurée. L’organisme inférieur flotte dans un milieu uniforme, tel que l’eau ; il s’attache au sol ou au rocher ; il trouve aisément des conditions qui suffisent à son existence ; il constitue en un mot la plante triviale qui reparaît partout, ou le protiste multiplié sans limite, à l’exemple des fermens, ou encore l’animalcule, comme le phylloxera. Mais chez l’être supérieur on voit augmenter les exigences en proportion des besoins à satisfaire. Le nombre des ennemis croit en raison directe de la diversité des organes ou de la délicatesse des fonctions. Plus spécialisé, il est aussi plus vulnérable ; il dépend d’une foule d’êtres différens de lui, auxquels sa propre existence se trouve nécessairement subordonnée. La lutte est d’autant plus vive qu’elle résulte de plus de circonstances combinées. Que de peines pour l’homme de maintenir certaines espèces qu’il cultive, c’est-à-dire au profit desquelles il crée artificiellement les conditions les plus favorables ! Que deviendraient-elles s’il les abandonnait un instant ? Du reste, avec quelle rapidité ses propres races se détruisent-elles aussitôt que l’une d’elles affirme sur d’autres sa supériorité et soumet celles-ci à son influence ? Qu’y a-t-il de plus étroitement adapté que nos espèces forestières ? Certaines circonstances, la plupart antérieures aux sociétés humaines, leur ont procuré une extension à laquelle l’homme est venu porter atteinte. Ces espèces déclinent ou disparaissent, et rien de plus malaisé que de reconstituer les conditions qui leur permettraient de reconquérir le terrain perdu ou qui leur ouvriraient de nouveaux espaces.

Dans l’analyse raisonnée d’un phénomène aussi complexe que celui auquel nous devons l’espèce, le meilleur procédé à suivre consiste à le décomposer en ses élémens principaux et d’attribuer à chacun de ceux-ci le rôle qui lui revient dans ce drame de la vie dont notre globe est le théâtre, et dont les actes se sont multipliés sans trêve en s’enchaînant, à partir du jour où se manifesta la première cellule vivante. — Deux forces antagonistes se partagent l’être organisé et le gouvernent à la fois ; l’une de ces deux tendances prédomine tour à tour sur l’autre, sans jamais l’exclure complètement. D’une part, c’est la variabilité, qui fait que toute trame organique, formée d’un assemblage de petites unités ou cellules, demeure essentiellement extensible et variable, sinon en