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si l’ancienneté de la nature végétale, à partir de son premier début, pouvait être ramenée aux cinq ou six mille ans que lui assignait Linnée, les choses auraient certainement dû se passer telles qu’il l’avait supposé. Aucune différenciation plus importante que celles d’où sortent les variétés n’aurait eu le temps de se produire ; les espèces, tout en se propageant et se multipliant, seraient restées généralement les mêmes qu’au moment de leur création ; chacune d’elles aurait été produite individuellement ou par paires (en ce qui concerne les unisexuelles), et les distances inégales, les irrégularités sans nombre que l’on observe, en comparant entre elles les espèces, auraient été fondamentales et voulues, pour ainsi dire, comme étant l’expression vivante d’un plan essentiellement fécond, fondé sur la diversité même des combinaisons dont il aurait offert le tableau.

La tâche du naturaliste, dans la pensée de Linnée, eût été de la déterminer exactement, en la dégageant de la simple variété, et sans la confondre pourtant avec le genre, cette espèce primitive, émanée directement d’un acte de l’être infini. On peut dire, en effet, à la louange de Linnée, que nul n’a mieux proportionné que lui les résultats qu’il adaptait au principe même qu’il avait posé : ses espèces, nommées encore types « linnéens » et trop souvent dédoublées sans nécessité, sont établies sur une moyenne de caractères assez largement conçue pour exclure toute confusion, pour écarter toute présomption de parenté trop immédiate avec l’espèce la plus voisine. En un mot, la valeur de ces espèces répond bien à la mesure du temps qu’elles étaient censées avoir traversé avant d’arriver jusqu’à nous. Il suffisait, d’après lui, de l’expérience pour juger que, dans le cours de la période qui nous réparait de la création, aucune action n’avait pu intervenir qui fût de nature à faire franchir aux types originaires les limites de la simple variété. Linnée, par exemple, sous la dénomination de chêne rouvre (Quercun robur L.), rapportait à une seule espèce toutes les variétés du chêne commun d’Europe, dont l’aire d’habitation s’étend des environs de Stockholm et de Christiania aux extrémités de l’Italie, et des approches de l’Oural jusqu’en Bretagne et en Lusitanie. Après lui, chacune des races ou variétés principales du chêne rouvre a été élevée au rang d’espèce ; c’est ainsi que l’on a distingué l’un de l’autre le chêne à glands pédoncules, le chêne à glands sessiles, le chêne pubescent, le chêne des Apennins, sans compter le chêne de Virgile, celui des cèdres et plusieurs autres du même groupe, observés soit en Italie par Tenore, soit en Grèce ou dans l’Orient par Kotschy. Il est facile, même à un esprit étranger à la botanique, de se rendre compte des motifs qui avaient déterminé le classement de