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plantes, Césalpin, G. Bauhin, plus tard Magnol, Tournefort, etc., ont une supériorité de jugement, d’appréciation et de classement des espèces que le génie seul de Linnée a pu dépasser ; mais celui-ci apportait avec lui la « méthode, » c’est-à-dire ce que les procédés de l’analogie ont en eux de plus ingénieux et de plus parfait. Esprit lumineux et puissant, ne reculant devant aucune difficulté, Linnée comprit la nécessité d’un ordre systématique, d’une coordination des genres, non plus fondée sur des à-peu-près et des similitudes extérieures, mais sur de vrais caractères soumis au contrôle d’une analyse sévère. Il ne découvrit pas seulement l’espèce ; mais, en faisant d’elle l’assise immuable de tout l’édifice botanique, en créant par elle la nomenclature, il s’attacha encore à la définir. Chez lui, cette définition est à la fois rigoureuse et philosophique : elle donne la mesure exacte des élémens dont disposait Linnée lorsqu’il la proposait au monde savant ; mais comment douter que, s’il eût dès lors possédé d’autres élémens d’appréciation, à lui inconnus et réservés à notre âge, qui en a eu la révélation, le savant suédois n’en eût tenu compte au moment de se prononcer sur un sujet aussi fondamental, lui si porté à tirer profit des moindres indices ? Voici comment s’exprime Linnée, à propos de l’espèce, dans son Genera plantarum, à la première page d’un ouvrage qui porte en tête cette épigraphe : « Les idées que j’exprime ne m’ont été suggérées ni par la préoccupation d’une vulgaire renommée, ni par la lecture des anciens auteurs, mais par le travail et l’étude, auxquels j’ai sacrifié tous mes loisirs ; c’est d’eux que je tiens mon savoir. » Il ajoute : « Il y a autant d’espèces que de formes diverses originairement produites par l’Être infini. » Voilà le principe, et certainement, dans la pensée de Linnée, il était conçu entièrement en dehors du fait d’une durée immense de la création, fait qui n’était pas même soupçonné à l’époque où écrivait le savant suédois ; mais celui-ci ne s’en tient pas à l’axiome, en apparence absolu, que nous venons de transcrire ; il a soin d’ajouter, tellement il est attentif à ne rien laisser que son hypothèse ne puisse embrasser : « Ces formes (les premières créées), obéissant aux lois de la génération, en produisirent ensuite beaucoup d’autres, toujours semblables à ce qu’elles étaient d’abord, de telle sorte que les espèces ne sont pas maintenant plus nombreuses qu’elles ne l’étaient à l’origine. Ainsi, on rencontre actuellement autant d’espèces qu’il existe de plantes diverses par la forme ou par la structure, à l’exception cependant de celles chez lesquelles l’influence de la localisation ou d’autres accidens ont fait naître de petites différences (ce sont alors des variétés). »

Rien de plus clair que ce passage souvent cité, et, remarquons-le,