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données de la paléontologie, et c’est bien ainsi que, jusqu’à nos jours, les naturalistes, Cuvier en tête, l’avaient comprise.

Il faut dire pourtant que, même dans ces limites, et dans les âges où les sciences d’observation étaient à peine nées, l’idée d’espèce n’avait pas acquis le degré de clarté que nous venons de lui communiquer. Dans l’antiquité, par exemple, aux yeux de Pline le naturaliste, le terme de « genre, » en latin genus, semblait préférable, et l’écrivain l’emploie évidemment en lui attribuant le sens vague, mais compréhensible, de « sorte. » Nous disons d’un dessert abondamment servi : « On y remarquait plusieurs sortes de fruits ; » Pline ne va pas au-delà ; il prend les pommiers, les figuiers, la vigne, les érables, peupliers, etc., et il décrit ou énumère plusieurs sortes de chacun de ces arbres : Fici aut vitis genera ; populi, aceris genera quatuor, etc. Inutile d’ajouter que ce ne sont là ni des genres au sens propre du mot, ni même des espèces, mais des catégories plus ou moins définies, et, au dedans de chacune, non pas des espèces déterminées, mais de simples variétés. La même méthode est appliquée aux chênes, aux frênes, etc. Il existe, selon Pline, treize sortes d’arbres portant des glands, y compris le chêne ordinaire, le « cerris, » l’yeuse ou chêne vert, et même le hêtre ; quatre sortes de frênes, deux de tilleuls et quatre d’ormeaux (de Ulmo Genera quatuor). Il s’agit, en réalité, tantôt d’espèces et de variétés, tantôt de genres véritables. S’il est question de la division des arbres en genres, c’est par la considération de leurs feuilles caduques ou persistantes. Ce sont là assurément des divisions artificielles, de pures catégories, dirions-nous. Il est évident que c’est d’instinct seulement, et en se conformant à l’opinion vulgaire, que le groupement des arbres qui se ressemblent entre eux a été opéré, et, dans chacun des groupes, les différences se trouvent notées également d’instinct, sans chercher à préciser l’importance relative ni la nature des nuances particulières.

Après le moyen âge, soit que l’éducation de l’esprit humain se soit faite par degrés, ou qu’il se soit rencontré chez les races néolatines une aptitude spéciale aux sciences d’observation dont l’antiquité païenne, plus spéculative ou plus exclusivement littéraire, aurait été dépourvue, on remarque un incontestable progrès et l’idée de l’espèce individuelle, décrite à part, désignée par des caractères à elle, qui la distinguent soit de ses congénères, soit des autres formes vivantes, se dégage de plus en plus, en dépit des erreurs partielles et des défauts inhérens soit aux méthodes artificielles de classement alors en usage, soit à l’habitude de rattacher les études récentes à celles des anciens, si imparfaites que fussent ces dernières. Dans leur façon de désigner et de caractériser les