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révolutionnaire faisait chorus avec l’opposition libérale et réclamait les mêmes réformes. Depuis, pendant quinze ans, ces deux oppositions ont tour à tour occupé le gouvernement. Qu’en est-il résulté ? Quelques méchans articles de loi, deux ou trois attributions nouvelles octroyées à grand’peine à nos conseils généraux. Et ç’a été tout. Pareillement n’est-il pas à craindre qu’après avoir dépensé des flots’ d’encre et de paroles, remué des montagnes de documens, mis en mouvement beaucoup de ressorts, on ne s’aperçoive que la démocratie ne comporte pas plus de décentralisation intellectuelle que de décentralisation administrative et que le réveil de la vie scientifique en France est absolument incompatible avec le morcellement à jamais déplorable qui a découpé nos belles provinces, œuvre du temps, de la nature et de l’histoire, en circonscriptions purement administratives ? Admettons cependant le succès matériel ; supposons qu’on réussisse à coups de décrets et à force d’argent à créer sur quelques points de véritables centres universitaires. Moralement, croit-on que les choses en seraient très changées, que ces écoles-là seraient bien différentes des facultés actuelles, qu’il y régnerait un autre esprit qu’il y circulerait un autre air, que la jeunesse y serait dans une atmosphère et dans un milieu plus fortifîans, et qu’elle y prendrait d’autres idées et d’autres goûts, une plus sérieuse façon d’envisager la vie, le devoir, la religion, surtout le patriotisme ? Ah ! s’il en devait être ainsi, s’il était seulement présumable que ces universités fissent jamais de meilleure et plus solide éducation, qu’elles devinssent non seulement des centres intellectuels, mais des centres de résistance à toutes les malsaines tentations qui sollicitent aujourd’hui notre jeunesse et qui l’égarent en littérature et en philosophie presque autant qu’en politique ; assurément il ne faudrait pas hésiter un seul instant. Mais ce serait miracle, en vérité, que cette transformation, et l’esprit se refuse à concevoir comment, du jour au lendemain, par la seule vertu d’un pluriel, l’organisation projetée pourrait bien différer de l’ancienne. Car enfin, avec une lettre de plus, ce seraient les mêmes méthodes, le même enseignement régi par les mêmes programmes, la même tradition, les mêmes tendances, et le même personnel. Ces universités seraient encore et toujours l’université ; c’est-à-dire, suivant une définition célèbre, l’état enseignant : c’est-à-dire, en politique, celle du gouvernement ; en histoire, le culte de la révolution ; en religion, l’indifférence ; en philosophie, nulle doctrine, un doux éclectisme, le bon Dieu facultatif, à prendre ou à laisser ; en morale, tous les systèmes, aucune affirmation, aucun point fixe ; bref, en fait d’éducation, la même impuissance provenant des mêmes lacunes et du même esprit critique.