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histoire et son avenir, parut ici même, en 1864[1], une étude de M. Ernest Renan aussi substantielle que brillante, où toutes les critiques auxquelles pouvait prêter notre haut enseignement se trouvaient condensées en quelques pages d’une singulière vigueur.

On a beaucoup disserté depuis sur le même sujet ; on n’a rien ajouté d’essentiel à ce tableau des vices organiques de notre système d’études « tel qu’il est sorti de la révolution. » M. Renan lui-même, dans un travail plus récent et d’un caractère beaucoup plus général, n’a guère eu qu’à reprendre, en la précisant sur quelques points, son ancienne thèse. Seulement, à l’époque de la Réforme intellectuelle, les événemens, hélas ! avaient singulièrement marché. Une grande clarté s’était faite et de terribles points d’interrogation se dressaient devant les esprits anxieux. N’était-ce pas à la supériorité de sa culture autant qu’aux solides vertus de sa race, au substantiel et patriotique enseignement de ses universités que l’Allemagne avait dû, pour une large part, la supériorité de ses armes ? N’était-ce pas en même temps à notre ignorance, à la légèreté de l’esprit français, à la frivolité de bon ton qui régnait jusque dans nos écoles, qu’il convenait d’attribuer nos malheurs ? Ainsi posé, le problème se trouvait grandi, pour ainsi dire, de toute la hauteur de notre chute ; en réalité, il n’avait pas changé. En 1872 comme en 1864, aux yeux de M. Renan, l’infériorité de notre enseignement supérieur tenait à ce qu’il se compose de trois séries d’établissemens qui se nuisent. Entre les écoles spéciales chargées de transmettre certaines connaissances d’une nécessité absolue pour l’état (telle que l’École polytechnique) et les établissemens de science pure (tels que le Collège de France et le Muséum), quels pouvaient être le rôle et le public de nos facultés ? « Comme la gratuité absolue était et devait être la loi de tels établissemens, — je cite ici textuellement, — on fut amené à adopter à cet égard le régime le plus singulier. Les portes furent ouvertes à deux battans. L’état, à certaines heures, tint salle ouverte pour des discours de science et de littérature. Deux fois par semaine durant une heure, un professeur dut comparaître devant un auditoire formé par le hasard, composé souvent à deux leçons consécutives de personnes toutes différentes. Il dut parler, sans s’inquiéter des besoins spéciaux de ses élèves, sans s’être enquis de ce qu’ils savent, de ce qu’ils ne savent pas. Quel enseignement devait résulter de telles conditions ; que pouvaient être de tels cours ? De brillantes expositions, des récitations à la manière des déclamateurs de la décadence romaine… Ce qu’il faut, c’est que l’oisif qui en passant s’est assis un

  1. Voyez la Revue du 1er mai 1864.