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quelque chose d’absolument factice dans l’idée même du syndicat mixte, ou, si l’on veut, de la corporation constituée à l’intérieur de l’usine entre le patron et ses ouvriers. On peut se complaire à donner cette dénomination à une organisation artificielle édifiée sur la base du dévoûment et de la charité ; mais, au point de vue économique, c’est une fiction et un trompe-l’œil.

Cependant, dans le système que j’expose, c’est le syndicat dans l’usine qui est en quelque sorte la cellule embryonnaire du syndicat véritable, du syndicat régional, qui doit comprendre dans son sein tous les ouvriers et tous les patrons appartenant à une même industrie et à une même circonscription, ville, département ou province ; soit, par exemple, à Paris, tous les ouvriers et patrons de l’industrie du bâtiment ; dans le département de Meurthe-et-Moselle, tous les ouvriers et patrons métallurgistes ; dans le Nord et le Pas-de-Calais, tous les ouvriers et patrons de l’industrie des mines (directeurs et administrateurs des sociétés anonymes compris sans doute), ce qui ferait à peu près dans le syndicat une proportion de plusieurs milliers d’ouvriers pour un patron. C’est à un syndicat ainsi composé ou aux autorités constituées par lui que serait confiée la direction des affaires de la corporation et la défense de ses intérêts. Ou la conception du syndicat régional ne veut absolument rien dire, ou c’est en cela qu’elle consiste.

Une objection frappe au premier coup d’œil. Dans un syndicat ainsi composé, les patrons seront absolument écrasés au point de vue de la représentation de leurs intérêts, à moins qu’un procédé quelconque d’organisation intérieure ne vienne rétablir en leur faveur l’équilibre singulièrement détruit. Si le syndicat mixte devait être régi par un conseil nommé à la simple majorité des voix, il serait fort à craindre que ce conseil ne fut pas mixte du tout et que les représentans des ouvriers ne le composassent exclusivement. Les organisateurs des syndicats mixtes ne pouvaient manquer de prévoir l’objection et de s’efforcer d’y répondre à l’avance dans la rédaction de leur plan, car je ne sache pas qu’il existe de syndicat régional mixte ailleurs que sur le papier. D’après ce plan, la corporation devrait être régie par un conseil syndical qui serait composé lui-même de deux syndicats : le syndicat des maîtres et le syndicat des ouvriers nommés séparément à la majorité simple des voix. Voilà qui va très bien, mais ne sommes-nous pas ainsi revenus, par la force même des choses, aux chambres syndicales de patrons et d’ouvriers, à cette institution qui devait forcément engendrer la guerre ? Il y aura, il est vrai, cette différence que ces deux chambres devront délibérer en commun au lieu de délibérer séparément, mais ceci même rendra la situation