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envers nous ? L’inanité apparente de ses efforts ne le décourage pas. Il sait que Dieu a son heure et ne perd rien pour attendre. Si la souffrance arrive, il l’accepte comme le moyen le plus puissant de sauver les âmes. Enfin la mort même l’inquiète peu. Dieu ne meurt pas et il sait continuer le bien que nous avons commencé pour lui. »

Certes, il est impossible de comprendre et d’exprimer d’une façon plus touchante et plus noble les devoirs du patron. Il en coûte même, après s’être élevé à ces hauteurs, de redescendre sur la terre ; mais il faut cependant faire observer que, s’il y a en France bon nombre de patrons qui s’inquiètent du sort des ouvriers et qui sont disposés à s’imposer des sacrifices en leur faveur, bien peu cependant sont disposés à braver pour eux les ingratitudes, les humiliations, les souffrances et la mort même. Si la création des syndicats mixtes doit être achetée à si haut prix, il est à craindre que, de longtemps, le nombre n’en soit pas très considérable en France. Il ne faut donc pas trop compter sur l’abnégation des patrons et il faut chercher ce que vaut, ou plutôt ce que vaudrait par elle-même (je ne sache pas qu’en dehors du Val-des-Bois, il en existe un seul en France) l’institution des syndicats mixtes. Je ne m’occuperai cependant que du côté économique de cette combinaison, laissant à part le côté religieux, bien que ces deux parties de l’institution soient, dans la pensée de ses partisans, étroitement liées. Certes, je ne méconnais pas et j’ai déjà déclaré, à propos du livre de M. Périn, que la pratique de toutes les vertus chrétiennes serait, non pas seulement la meilleure, mais la seule solution de la question sociale. A fortifier la pratique de ces vertus les associations de piété peuvent assurément concourir, et ce sont choses excellentes à établir dans le personnel d’une usine, à condition que ce personnel les accepte de bon cœur, que, pour l’y faire entrer, on n’exerce sur lui aucune contrainte matérielle ni morale, en un mot, qu’il y soit poussé par la foi et non par l’intérêt. Malheureusement il faut reconnaître que l’état d’esprit de la grande majorité des ouvriers français se prête peu aux associations et aux manifestations de ce genre. On peut même se demander si, dans les trop rares centres où ces créations sont possibles, le zèle des ouvriers à y entrer n’est pas une garantie de la paix sociale qui rend inutile la création d’un syndicat mixte et si on ne tourne pas là dans un cercle vertueux. D’ailleurs ces associations, semblables par leur esprit, ne sauraient manquer d’être très différentes dans leur forme, de s’inspirer des traditions locales, et de varier même avec le personnel de l’usine. Au contraire, les institutions économiques qui sont la caractéristique du syndicat mixte doivent, si elles sont bonnes par elles-mêmes, pouvoir être appliquées partout, et il est facile de les soumettre à l’analyse et à la discussion. Aussi bien, c’est là qu’il en faut arriver.