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en pleine fantaisie. Dans quels temps, sous quels cieux, a-t-il trouvé l’exemple d’une société (d’une société, vous entendez bien) qui pratiquât la justice de Dieu et dont le renoncement fût la loi ? Assurément il n’est pas sans avoir lu les nombreux recueils d’homélies qui ont précédé la publication de son traité d’économie sociale. Est-ce que ces homélies ne portent pas à chaque page de sévères condamnations contre la cupidité de l’homme et contre son amour du lucre ? N’y a-t-il pas certain sermon de Bourdaloue sur les Richesses qui n’est pas tendre aux capitalistes du XVIIe siècle, et est-il bien exact de dire que les industriels de l’ancien régime s’en remettaient aisément à la Providence du succès de leurs labeurs ? N’est-ce pas plutôt aux parlemens qu’ils en appelaient, ainsi qu’en témoignent les contestations fréquentes dont ils saisissaient leur juridiction ? C’est donc être bien sévère pour la société moderne que de la supposer en proie à un mal inconnu des sociétés antérieures. Qu’avec l’affaiblissement des croyances chrétiennes ce mal soit devenu plus aigu, je suis prêt à en tomber d’accord. Cependant n’est-ce point aussi parce que l’acquisition des richesses est devenue plus facile et que les jouissances de la fortune sont mises à la portée d’un grand nombre d’individus, dont autrefois les passions auraient suivi un autre cours ? Mais quant à espérer qu’on verra les croyances chrétiennes ressaisir assez d’empire pour triompher de la soif de l’or et remettre en honneur la règle du renoncement, c’est se perdre dans les brouillards de l’idéal et nager en pleine chimère.

Quels sont les moyens que M. Périn recommande pour arriver à l’accomplissement de cet idéal ? — j’entends parler des moyens économiques, car le plus efficace est assurément l’enseignement du catéchisme. A vrai dire, il n’en préconise aucun d’une façon exclusive, et c’est ici, par une contradiction singulière, que se retrouve le sens pratique de l’homme qui a étudié, et qui sait. M. Périn rend pleine justice, ainsi que faire se doit, au régime de l’organisation du travail dans l’ancienne société. Mais il ne s’en exagère pas l’efficacité et il traite un peu dédaigneusement d’économistes novices ceux qui croient que la loi de l’offre et de la demande ne se faisait pas sentir avant la révolution. Il n’entretient non plus aucune illusion sur les inconvéniens que ce système avait fini par produire. Il n’hésite pas à reconnaître que la suppression trop brusque et trop radicale des corporations n’en fut pas moins par elle-même « un progrès dans la liberté que le cours de la civilisation chrétienne devait amener naturellement. » Quant à les rétablir, ce serait à ses yeux impraticable : « Essayer de restaurer les corporations avec les conditions de privilège et de contrainte dans lesquelles elles vivaient autrefois, ce serait, dit-il, engager contre les intérêts les plus profonds de nos sociétés, modernes une lutte impossible. »