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furent renouvelées au siècle suivant par les conciles provinciaux de Montpellier, de Toulouse, de Bordeaux, d’Avignon. Il fallut plus de cent années pour que l’église de France, voyant combien ces confréries étaient profondément entrées dans les mœurs des artisans, et quels fruits de charité elles produisaient, finit par s’humaniser en leur faveur et par leur accorder en quelque sorte droit de cité dans l’enceinte de ses édifices en leur ouvrant des chapelles. Mais à l’organisation intérieure des corporations, aux différends qui pouvaient s’élever entre apprentis, maîtres et ouvriers, elle demeura toujours étrangère, comme à toutes les questions d’ordre purement temporel. C’est donc une pure fiction de représenter l’église catholique comme étant autrefois une puissance médiatrice reconnue et acceptée de tous, qui était la tutrice des petits et des faibles et qui imposait des bornes à l’abus qu’on pouvait faire des forces de l’homme. Je ne vois pas sur quelle autorité historique s’appuie cette assertion, à moins que ce ne soit sur le témoignage de Louis Blanc, dont on s’étonne de trouver une longue citation en tête de plusieurs publications de l’Œuvre des cercles catholiques, comme on s’étonnerait de voir un diable servir de support à un bénitier. Comment ne s’aperçoit-on pas que le témoignage d’un esprit aussi faux est plus compromettant qu’utile et que de pareils rapprochemens font involontairement souvenir du dicton sur les extrêmes qui se touchent ?

Est-il davantage exact de dire que les corporations maintenaient l’harmonie sociale et la paix dans le monde du travail ? Si ces institutions, dignes, je tiens à le répéter, d’estime et de respect par leur côté charitable, parvenaient à maintenir l’harmonie, ce n’était assurément pas entre elles. Toute l’histoire des corporations est un long procès des unes contre les autres pour la défense de leurs privilèges respectifs : procès entre les fripiers et les chaussetiers, procès entre les lormiers (fabricans de mors) et les bourreliers, procès entre les garnisseurs de pommeaux et les fourbisseurs d’épée, procès entre les rôtisseurs et les cuisiniers, sans parler des rixes fréquentes qui mettaient aux prises dans les rues les artisans des diverses corporations. On avouera que c’est là un état de paix qui ressemble, à s’y méprendre, à un état de guerre. Mais si de corporation à corporation l’hostilité était poussée tellement loin, l’harmonie régnait-elle du moins dans le sein même de l’association entre maîtres et ouvriers, — valets, comme on disait alors ? C’est ici qu’il faut sortir des illusions et pénétrer dans le vif de la question. Au profit de quel intérêt les corporations étaient-elles organisées ? Au profit des maîtres. Qui en supportait le poids ? Les ouvriers. Voilà ce qu’il ne faut jamais perdre de vue lorsqu’on vante les bienfaits, sous