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depuis quelques jours par une série de contretemps, d’incidens malheureux et dramatiques qui ont fortement ému l’imagination anglaise. Au premier moment, on s’était plu à garder quelques doutes sur la chute définitive de Khartoum, sur le sort de Gordon, et, dans tous les cas, on comptait pouvoir poursuivre la campagne sur le Haut-Nil, aller jusqu’à la capitale du Soudan, occupée depuis peu par le mahdi. Maintenant toutes les illusions se sont évanouies coup sur coup. L’infortuné Gordon est bien décidément mort, après avoir adressé à ses compatriotes des appels désespérés, qu’on publie aujourd’hui ; il a été trahi, comme il l’avait prévu et tristement annoncé d’avance dans ses derniers messages. Ce premier objet de la campagne africaine a disparu, et non-seulement il n’y a plus l’espoir de continuer les opérations qu’on avait entreprises, d’enlever Metammeh, comme on paraissait le projeter, d’aller jusqu’à Khartoum, qu’il faudrait désormais assiéger, mais les Anglais semblent même être réduits à la nécessité de rétrograder, d’abandonner les positions qu’ils avaient conquises. Le colonel Wilson. n’a pu être sauvé sur le Nil par lord Beresford qu’à travers mille dangers et dans les circonstances les plus tragiques. La brillante affaire où a péri le général Earle n’a été qu’un succès sans lendemain, qui a été chèrement acheté et qui n’a rien avancé. Le général Buller, qui remplacé sir Herbert Stewart, mort de sa blessure, est obligé de quitter Abou-Kléa et de se replier sur Gadkul. Les troupes que le gouvernement anglais vient d’expédier avec les généraux Brackenbury et Graham seront sans doute forcées de prendre des positions choisies avec prudence, soit à Souakim, soit à Berber. C’est, en un mot, une campagne à recommencer dans des conditions nouvelles, avec des moyens militaires plus complets, et cette campagne, on ne pourra la reprendre que dans quelques mois. D’ici là, c’est une attente pénible, mais inévitable, dont la fierté anglaise subit impatiemment la nécessité. Par une coïncidence qui n’est peut-être que fortuite, à laquelle lord Salisbury a fait allusion, il s’est trouvé qu’au moment où se passaient ces cruels événemens du Haut-Nil, la Russie semblait méditer quelque mouvement au cœur de l’Asie, sur Hérat, et aussitôt on a vu l’empire de l’Inde menacé. D’un autre côté, enfin, on vient de publier dans une multitude de livres blancs et bleus toutes ces controverses diplomatiques où M. de Bismarck, tout entier à ses conquêtes coloniales, ne laisse pas de prendre avec l’Angleterre un ton assez hautain, qui a pu paraître quelque peu irritant à des esprits déjà surexcités. Tout cela s’est produit à la fois, et c’est dans ces conditions passablement dangereuses ou scabreuses que le parlement s’est réuni. L’Angleterre n’est point sans doute perdue pour une de ces crises où, depuis longtemps, elle s’est accoutumée à retremper son énergie. Le chef officiel et responsable du gouvernement, M. Gladstone, ne reste pas moins dans une situation difficile, d’autant plus que tout ce qui