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au moins une organisation différente au sénat, et, en définitive, à quoi donc a-t-elle conduit, cette révision ? Elle a déjà subi une première épreuve ; elle n’a eu d’autre résultat que d’affaiblir le sénat par la suppression d’une classe de sénateurs qui pouvait représenter la stabilité, les lumières, l’indépendance, et par l’adoption d’un nouveau régime électoral conçu dans un intérêt évident de parti ? C’est que les lois n’ont de valeur et de signification que par l’esprit qui les inspire, et l’esprit qui a inspiré la dernière révision était sans fécondité. On a tout simplement amoindri le sénat sous prétexte de désarmer ceux qui voulaient le détruire. Maintenant, c’est la chambre des députés qui a entrepris de se réviser elle-même, non plus par un changement de constitution, qui n’était pas nécessaire, mais par un retour au scrutin de liste, au vote collectif par département. La question est depuis longtemps à l’étude dans une commission parlementaire ; elle a été l’objet d’un récent rapport, elle a pris rang dans l’ordre des discussions les plus prochaines. Cette loi, qui viendra après le débat engagé aujourd’hui sur les céréales, peut-être après le budget, c’est un préliminaire des élections. Que produira-t-elle dans la situation de la France ?

Il n’est point douteux que, considéré à un point de vue théorique et supérieur, le scrutin de liste a une portée, un caractère que n’a pas le scrutin d’arrondissement. Il donne aux élections une signification plus politique ; il met ou il est censé mettre l’intérêt général d’une représentation plus fortement composée au-dessus des intérêts et des importances de localité. Le scrutin de liste peut avoir sans doute cet avantage. Est-il plus vrai, est-il plus sincère que le scrutin d’arrondissement ? A parler franchement, c’est une question qui a été tranchée tour à tour dans tous les sens, selon les circonstances, depuis que le suffrage universel existe. Lorsque le scrutin de liste a été la loi du pays, on n’a pas tardé à en saisir les inconvéniens et les abus. On a vu qu’il ne produisait qu’une représentation factice élue sans garanties, préparée par des comités sans mandat ou par quelque prépotence directrice : on a demandé à revenir au scrutin d’arrondissement ! Depuis dix ans, ce dernier genre de scrutin existe, et on a vu cette masse d’appétits locaux, d’ambitions vulgaires, de médiocrités brouillonnes, encombrant la vie publique, tenant en échec l’administration, le gouvernement. On a eu ce que M. Gambetta, dans son langage irrévérencieux, a appelé une « chambre de sous-vétérinaires : » on demande aujourd’hui à revenir au scrutin de liste ! C’est un peu l’histoire d’un malade qui se tourne de tous les côtés, cherchant une position dans l’espoir d’être soulagé du mal dont il souffre pour le moment. Cela signifie tout simplement que le suffrage universel, depuis qu’il a été inauguré en France, n’a point trouvé encore son organisation. Il reste, pour ainsi dire, à l’état d’élément tour à tour soumis à un