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s’attaque à des natures saines d’ailleurs et défendues contre elle par un peu de bon sens ou un reste d’éducation, on sait, et les exemples en seraient faciles à nommer, ce qu’elle fait néanmoins de ravages. Mais quand elle s’empare, comme quelquefois, d’un déclassé, c’est alors qu’on la voit développer tous ses effets. Et si ce déclassé, par hasard, se trouve être, comme Jacques Vingtras, une nature foncièrement immorale, mauvaise et dangereuse, le mal aboutit finalement à des déformations d’une valeur unique pour le naturaliste, le psychologue et l’historien.

On a beaucoup vanté son talent depuis quinze ou vingt jours, et peu s’en faut que ceux-là mêmes à qui sa manière de s’en servir faisait le plus de peur ne l’aient transformé, comme j’ai dit, en une espèce de grand écrivain. Accordons-leur donc qu’il y a dans les Réfractaires, dans l’Enfant, dans le Bachelier même, dans l’Enfant surtout, quelques pages, et peut-être deux ou trois chapitres qui ne sont pas du premier venu. Disons en outre, s’ils y tiennent, que la préoccupation de l’adjectif, le souci de la phrase, et la rage de l’effet pittoresque, — une rage froide qui n’enlève jamais à l’écrivain l’entière possession de ses moyens de style, — se sentent, se trahissent ou plutôt s’étalent partout. Mais ce ne sont enfin là que les procédés bien connus du naturalisme, habilement diversifiés par ceux du petit journalisme : un peu de Rochefort dans beaucoup de Zola, du Zola moins puissant, plus court d’haleine, et du Rochefort moins spirituel, ou, pour mieux dire, moins divertissant. « Marcelin tient une auberge dans une rue du faubourg. Il a la réputation à dix lieues à la ronde pour le vin blanc et les grillades de cochon. Il y a, quand on entre, une odeur chaude de fumier et de bêtes en sueur qui avance, comme une buée, de l’écurie… Il y a aussi les émanations fortes du fromage bleu. » C’est du Zola, comme on peut voir, et, pour qu’on n’en ignore, la buée même n’y manque pas. Voici maintenant du Rochefort : « Je couvrirai mes émotions intimes du masque de l’insouciance et de la perruque de l’ironie ; » ou ceci encore : « Rester assis, c’est bien ; mais, quand l’heure du fouet sonnera de nouveau, où en serai-je ? Les délices de Capoue m’auront perdu : je n’aurai plus la cuirasse de l’habitude, le caleçon de l’exercice, le grain du cuir battu ; » et vingt autres métaphores, — car ce sont des métaphores, — du même goût hardi, si l’on veut, mais surtout prétentieux et douteux. Rien d’ailleurs, il faut bien le savoir, ne s’imite plus aisément ; ce n’est guère qu’une habitude à prendre, comme l’on fait celle du calembour ; et le moindre vaudeville abonde en drôleries plus cocasses, de même que, de son côté, le moindre roman naturaliste est plein de descriptions qui ne fleurent pas mieux, mais plus fort. Là-dessous, dans ces quatre ou cinq volumes, pas une ombre d’imagination seulement, pas un