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l’entreprendre et s’était mis à recueillir dans cette vue d’abondans matériaux ; il calculait que l’œuvre entière n’irait pas au-delà de quinze volumes et que sa vie suffirait à l’achever. Jean Bollandus, qui la commença, nourrissait les mêmes illusions. La longueur et les difficultés de l’entreprise n’apparurent que plus tard. On peut croire que, si l’on eût su au premier jour quel travail de cyclope on abordait, les plumes fussent tombées des mains avant qu’on eût commencé. Les premiers mois dépassaient déjà la mesure que Rosweyde s’était prescrite. Janvier comprenait deux volumes. Il en fallut trois pour février, autant pour mars, autant pour avril. A partir du mois suivant, le nombre des volumes grossit. Mai en demanda huit, et à peu près autant les mois suivans. Octobre en compte treize.

Cette longueur toujours accrue du travail qui remettait, on ne savait à quel terme, l’achèvement de la collection, suscita plusieurs fois des difficultés dans le parlement de Belgique. Les idées dites modernes provoquèrent des oppositions. En 1860, quelques députés proposèrent de rayer l’allocation de 6,000 francs assignée au collège Bollandien, allocation stérile à leur gré, qui servait à défendre et à propager des idées et des thèses d’un autre âge et à célébrer des saints qui n’étaient pas les leurs. Le débat qui s’engagea à cette occasion[1] ne paraît pas avoir eu l’élévation et la largeur que des lecteurs désintéressés eussent souhaitées. Le fond et la forme des discours alors prononcés furent des deux côtés d’une lamentable médiocrité. A gauche, des argumens de boutiquiers réglant leurs dépenses et ne voulant rien donner au luxe des choses de l’esprit, une appréciation inintelligente et plate des Actes des saints, des plaisanteries d’un goût douteux, un voltairianisme de banlieue. A droite, manque absolu de sang-froid, personnalités violentes, apologie maladroite et lourde de légendes frivoles revendiquées comme choses inviolables et faisant partie des croyances mêmes de la majorité du pays.

Le crédit fut maintenu. Mise de nouveau en question quatre ans plus tard, attaquée par les mêmes passions de parti, la publication des Acta sanctorum fut cette fois défendue avec plus de hauteur et d’autorité[2] et l’allocation demeura inscrite au budget. La Belgique s’est honorée en gardant cette œuvre plus que nationale. On a quelque peine à croire du reste que la continuation de ce grand monument eût cessé fauté du maigre subside autour duquel se livraient de si vifs combats.

  1. Chambre des représentons de la Belgique, séance du 11 février 1860.
  2. Ibid., séances des 23 et 24 décembre 1864.