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réputés apocryphes. Les mentions que Justin, Tertullien ou Eusèbe en font prouvent simplement qu’ils étaient composés et circulaient de leur temps parmi les fidèles. J’accorde bien que les Actes de Cyprien sont d’une autre valeur et qu’ils tirent une grande part de leur autorité de la mention qu’en fait le diacre Pontius et des traits qu’il leur emprunte dans son récit de la mort de Cyprien. Mais le passage où Eusèbe, après avoir donné la lettre qui relate l’affaire des Philadelphiens et le martyre de Polycarpe, note comme appartenant au même écrit et au même temps les martyres de Pionius et de Métrodore marcionite, et ceux de Carpos, de Papylos et d’Agathonicé, — erreur de près d’un siècle, — prouve-t-il que les Actes de Pionius et ceux de Carpos, tels que nous les avons aujourd’hui, sont ceux-là même qu’Eusèbe eut sous les yeux ? En aucune manière. Les Actes latins de Pionius ne sont évidemment qu’une traduction de la fidélité de laquelle on ne peut juger, faute d’avoir le texte grec original auquel certainement Eusèbe fait allusion. La mention des écrivains contemporains au sujet d’une pièce hagiographique n’a de portée qu’autant qu’elle est accompagnée de citations étendues qu’on retrouve dans ces pièces.

Ces mentions d’Actes sont d’ailleurs d’une extrême rareté dans les écrivains contemporains. Les auteurs de passions ont travaillé en dehors des livres composés, les meilleurs sur d’informes canevas, la plupart sur des traditions. Leurs héros, à très peu d’exceptions près, paraissent ignorés des témoins réguliers du temps et, d’autre part, presque aucun des martyrs nommés par les auteurs contemporains comme Tertullien, Cyprien, Denys d’Alexandrie et Eusèbe ne figure dans les passionnaires. C’est un caractère particulier de cette espèce de littérature à demi historique et à demi romanesque qu’elle se meut dans l’ombre et le mystère, entre les choses divines et les choses humaines, et se superpose à l’histoire, comme les mythes de Platon se greffent sur ses théories philosophiques.

Ces essais de classification des Actes sincères sont donc fort discutables. Le certain, c’est qu’il y a, en petit nombre, des Actes où il y a beaucoup d’histoire, et que, dans le plus grand nombre, il y en a un peu. Distinguer les meilleurs des moins bons est surtout affaire de tact, et ce tact s’aiguise à la pratique et au maniement de ces pièces. Les meilleurs Actes sont ceux qui ressemblent le plus aux documens impersonnels qui fournissent à l’historien la matière qu’il met en œuvre. Ils sont brefs, graves et simples de ton, exempts d’amplification pédante et de théologie doctrinale. Les interrogatoires n’y ont pas la forme de grossières disputes, le merveilleux n’y a nulle place ; on n’y voit pas ces enchères de supplices d’inhumanité croissante et d’inefficacité extraordinaire ; on n’y trouve pas