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une simple transcription d’un document officiel. D’abord, ces actes présentent dans les manuscrits bien des variantes. D’un autre côté, le travail de composition apparaît dans le seul fait d’avoir réuni en un seul récit deux affaires jugées par deux proconsuls différens et séparées par une année d’intervalle. Les deux interrogatoires et les deux sentences forment une partie très solide où l’auteur anonyme de la pièce n’a rien ajouté de soi, mais cette partie même provient-elle du greffe de Carthage ou de notes privées ? Question insoluble et puérile après tout. Le reste, c’est-à-dire le récit, excellent sans doute et bien historique, émane certainement d’une plume chrétienne.

Dans la seconde classe, on vise la longue Passion de Perpétue, de Félicité et de leurs compagnons. Or ici, nous avons deux textes : celui de Ruinart, auquel pense l’auteur de la classification, n’a pas d’interrogatoire, consiste en rêves et en visions. Un autre texte mentionne à peine les visions et donne des interrogatoires sobres dans leurs détails et fort vraisemblables. Or le début du texte de Ruinart n’est d’aucun des martyrs auxquels on rapporte le récit de leurs visions, peut-être pour cette raison spécieuse qu’eux seuls paraissaient capables de le faire. Mais cette pièce entière est de la même main. D’où cette conséquence : les visions, si elles sont réelles, furent racontées à quelqu’un de ceux qui visitaient les prisonniers, puis écrites par un des confidens survivans ; si elles ne sont pas réelles, l’auteur de la pièce les a imaginées et, pour donner plus d’autorité à ses enseignemens, les a placées dans la bouche même de Perpétue et de Saturas, racontant eux-mêmes qu’avant le jour suprême, l’esprit de Dieu les avait visités. Il n’y a là, à notre avis, qu’un artifice de composition. Ces actes donc, tout excellens qu’ils sont, appartiennent à la quatrième ou à la cinquième catégorie.

Les bollandistes d’ailleurs n’attachent pas eux-mêmes un grand prix à cette classification, car au tome XIII d’octobre ils en présentent une autre, qu’ils empruntent à M. de Smedt[1]. Celle-ci émane d’un esprit plus critique. Les Actes sincères se rangent ici en quatre classes ou, si l’on veut, en deux. La première comprend les Actes que, par témoignages extrinsèques, nous savons certainement avoir été écrits au temps même des persécutions. Les trois autres espèces tirent leur autorité plus ou moins forte d’indices internes.

Le critérium de la première classe ne nous semble pas d’une très grande valeur. Nombre de petits écrits ecclésiastiques, bien que cités par les écrivains des premiers siècles, n’en sont pas moins

  1. Il l’a exposé avant d’être agrégé au collège Bollandien dans l’ouvrage : Introductio generalis in historiam ecclesiasticam, p. 118-119.