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n’avions pas gaspillé notre combustible, nous en aurions eu pour longtemps. Cependant, on prévoyait déjà que ces matières allaient baisser de prix à l’étranger, et, pas plus qu’aujourd’hui, les denrées et les céréales n’abondaient chez nous. Nous n’étions aussi riches que parce que les autres nations du monde avaient l’habitude de nous envoyer leurs produits pour les vendre ou les manufacturer, et nous nous bercions de l’idée qu’il en serait toujours ainsi. En effet, cela eût pu durer, avec un peu plus de sagesse de notre part ; mais nous apportâmes là une insouciance qui nous fit négliger cette prospérité qu’on ne retrouve jamais quand une fois le courant du commerce s’est déplacé… On ne put faire reconnaître à nos hommes d’état que notre prospérité n’était que factice, qu’elle reposait uniquement sur notre négoce avec l’étranger et le crédit financier ; que le courant du commerce, une fois détourné de nos ports, n’y reviendrait plus, et que notre crédit, une fois ébranlé, ne se rétablirait jamais. A entendre parler les hommes de cette époque, on aurait cru que la Providence avait décrété que notre gouvernement emprunterait toujours à 3 pour 100 et que le commerce affluerait toujours chez nous, parce que nous habitions une petite île brumeuse au milieu d’une mer toujours agitée. » Détourner le courant du commerce, tel serait donc, contre la plus grande des puissances maritimes, l’objectif de la guerre. Or, que faut-il pour détourner le courant du commerce d’une nation quelconque ? Consultons ce qui s’est passé en Amérique lors de la guerre de la sécession. « Les croisières des corsaires confédérés, dit M. Dislère, n’avaient pas eu seulement un résultat matériel : la prise et la destruction d’un grand nombre de navires américains. Jusqu’au mois de mai 1864, 230 navires, jaugeant ensemble 104,000 tonneaux, d’une valeur de plus de 15 millions de dollars (80,250,000 fr.), avaient été détruits. L’effet moral avait été plus considérable encore. La plupart des navires de commerce fédéraux étaient transférés à des propriétaires anglais. Dans la seule année de 1803, on enregistra le transfert de 348 navires, jaugeant ensemble 252,000 tonneaux. Le taux des assurances s’élevait à des chiffres ruineux pour le commerce du Nord. La guerre se prolongeait enfin, non-seulement par les ressources que procuraient les coureurs de blocus, mais encore par la confiance que rendaient aux défenseurs du droit des états les exploits, sans cesse renouvelés, des Semmes, des Wadell et de leurs émules[1]. » Ces faits ne jettent-ils pas un jour tout nouveau sur la guerre maritime ? Prenons pour exemple, exemple purement gratuit, nous l’espérons bien, l’hypothèse d’un

  1. Dislère, les Croiseurs, la Guerre de course.