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sus à l’ennemi et de le couler bas, n’a exercé d’influence décisive appréciable sur le résultat de la journée. Cette escadre n’avait-elle pas, en effet, traversé la ligne italienne sans lui causer aucun dommage et tout vestige des ordres antérieurs n’était-il pas détruit lorsque s’est produit l’événement décisif, la grande expérience du choc dont le succès constitue presque toute la victoire de Lissa, et qui a immortalisé le nom de Tegethof ? Comme Nelson à Trafalgar, celui-ci a triomphé bien plus par l’audace énergique du capitaine que par les savantes combinaisons du tacticien. Nul n’oserait compter dans les combats nouveaux sur le hasard heureux qui livra le Re d’Italia sans direction et peut-être sans vitesse au coup assuré du Max ; mais nous avons cherché à montrer dans ce mémoire que l’habileté et le coup d’œil du capitaine aidés par la connaissance précise des mouvemens de son navire et des défauts de son adversaire peuvent, en créant des circonstances non moins favorables, lui procurer l’occasion d’un aussi beau succès[1]. » Tout en prouvant la puissance du choc, la bataille de Lissa laisse donc planer la plus complète incertitude sur la manière dont doit être conduit le combat par le choc. Faut-il s’étonner, après cela, que les armes de jet n’aient point disparu, comme l’annonçait l’amiral de Jonquières, et que la lutte du canon contre la cuirasse ait repris avec plus d’énergie que jamais le lendemain du triomphe de Tegethof ? Faut-il s’étonner même que M. Gougeard, dans sa récente brochure[2], appliquant le principe : Dans le doute abstiens-toi, ait été jusqu’à proposer de renoncer au choc, de supprimer l’éperon pour augmenter la vitesse ? On doit donc reconnaître, avec l’amiral Bourgois, qu’entre deux bâtimens d’égale valeur, l’issue de la lutte dépendra exclusivement désormais du sang-froid et de l’habileté des capitaines, ce qui détruit la tactique navale ; car il est bien évident que la valeur des hommes, ne pouvant être préjugée, ne peut pas non plus faire l’objet d’une science. « Dans le cas d’un combat d’escadre, dit M. de Penfentenyo, on ne saurait, au sujet de l’ordre qui semblera le plus propre à donner et à recevoir le choc, poser aucune règle absolue, car un amiral devra toujours s’inspirer des exigences du moment et subordonner la formation de ses vaisseaux à la nature de l’ordre adopté par ceux qu’il doit combattre[3]. » — « Ainsi, dit à son tour l’amiral Aube, absence de règles fixes, l’énergique audace du capitaine assurant le triomphe bien plus que les savantes combinaisons du tacticien, tout vestige des ordres antérieurs disparaissant dans la mêlée, après le premier

  1. Amiral Bourgois, Mémoire sur la giration des navires.
  2. M. Gougeard, la Marine de guerre, son passé et son avenir.
  3. Du Penfentenyo, Introduction à la tactique navale.