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plusieurs heures, parfois pendant plusieurs jours, « l’avantage du vent. » C’est que celui qui le possédera possédera par cela seul l’avantage de la vitesse, la supériorité de la manœuvre, et pourra envelopper une partie des forces ennemies sans que l’autre partie, immobilisée par sa position, soit en mesure de lui venir en aide avec assez de rapidité pour rendre égales les chances de la lutte ; ce premier engagement décidera presque toujours du sort de la bataille, et si l’assaillant en sort victorieux, il restera sans doute maître du champ de bataille, n’ayant plus qu’à se replier, pour les écraser, sur ses derniers adversaires, à moins que ceux-ci, effrayés du danger et se sentant vaincus d’avance, comme à Aboukir et à Trafalgar, n’aient préféré la fuite à la défaite. « Les deux flottes se joignent, dit l’amiral Aube, marchant en ligne de file ou de bataille (line of file, of batlle), les deux expressions sont identiques ; elles se sont d’abord canonnées à distance, puis bord à bord ; les murailles sont trouées par les décharges répétées des batteries ; les ponts ruissellent de sang ; les mâtures pendent et tombent ensevelies le long du bord ; les gouvernails brisés ne dirigent plus le navire, presque immobile ; l’abordage est devenu possible ; pour quelques-uns, il a décidé de la lutte. Les amiraux cherchent dans les débris de leurs flottes combien de vaisseaux peuvent manœuvrer encore. Le vainqueur sera celui qui en comptera le plus ; il peut achever la destruction de son adversaire si celui-ci persiste dans une héroïque résistance ; mais la brise change, la nuit se fait ou tout autre incident le soustrait à ses coups : la lutte n’est pas finie, elle se renouvellera bientôt sur un autre champ de bataille ; ou la nuit a tardé, la brise est restée la même rien n’a modifié les chances respectives des combattans ; ou peut-être encore la tempête a achevé l’œuvre de destruction si bien commencée. Alors la victoire est décisive ; elle s’appelle Trafalgar, si vous le voulez, et pendant dix ans, l’Angleterre sera maîtresse incontestée de l’océan. Ses escadres bloqueront toutes les côtes ennemies, fût-ce celles de l’empire de Napoléon, c’est-à-dire celles de l’Europe ; ses convois sillonneront sans crainte les grandes lignes commerciales du monde, dont les négocians de Londres et de Liverpool exploiteront seuls les marchés et monopoliseront le commerce[1]. » Tableau non moins vrai que saisissant, et dont l’exactitude ne ressort pas seulement des victoires décisives, mais encore de celles dont les effets ont été moins désastreux pour le vaincu parce qu’il était parvenu à compenser l’infériorité du nombre par l’habileté de la manœuvre et l’heureuse observation des règles de la tactique. Forcé de combattre à La Hougue, avec une quarantaine de

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1882.