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ces immenses, ces inappréciables avantages. Comme il n’y avait alors qu’un type de navire, le vaisseau de ligne, et par suite qu’une unité de combat, ce même vaisseau de ligne armé d’une puissante artillerie, les escadres étaient toutes pareilles, et lorsque l’une d’elles avait péri dans un désastre maritime, il fallait, pour la reconstruire, de nombreuses années durant lesquelles celle qui l’avait vaincue dominait sans contestation. Cette dernière parcourait le monde en toute liberté. Elle s’emparait sans péril d’un certain nombre de points de ravitaillement, de forteresses bien placées, commandant les grandes routes militaires et commerciales, de ports invulnérables, sur lesquels elle s’appuyait, dans les croisières, pour interdire à qui que ce fût de lui disputer la possession du domaine maritime. A l’abri des murailles de Gibraltar et de Malte, les flottes anglaises observaient tous les passages de la Méditerranée, que nul n’aurait pu tenter de forcer sans se briser contre un obstacle subitement élevé devant lui.

La bataille d’escadre était réellement l’objectif principal de la marine, puisque c’était elle qui donnait ou qui enlevait « l’empire de la mer. » Le siège des places fortes avait également une importance capitale, puisque ces places fortes dominaient et pouvaient fermer les grandes routes de la guerre et de l’industrie. Mais, d’ordinaire, lorsqu’une puissance était parvenue à chasser de la mer les flottes de ses rivales, elle ne tardait pas non plus à s’emparer de leurs places fortes isolées, bloquées, affamées, qui unissaient par tomber, comme Malte après Aboukir, faute de recevoir des secours qu’il n’était plus possible de leur porter. Ainsi donc, encore une fois, le but suprême pour lequel toutes les forces navales étaient disposées, c’était bien la bataille d’escadre. Et rien n’était plus simple, plus uniforme que cette bataille d’où dépendait le sort du monde. La victoire y résultait de l’observation plus ou moins heureuse, plus ou moins habile d’une tactique connue de tous, éprouvée par des siècles d’expérience, reposant sur des règles parfaitement fixes, sur des principes définitivement arrêtés, au-dessus desquels le génie d’un Suffren ou d’un Nelson pouvait bien se placer, dans une heure d’inspiration sublime, mais qui ne s’en imposaient pas moins, comme moyens assurés de succès, à toutes les flottes marchant au combat. De même qu’il n’y avait qu’un seul type de navire, le vaisseau de ligne, qu’une seule arme, le canon, il n’y avait aussi qu’un moteur, le vent, ne permettant qu’un petit nombre de combinaisons qui se reproduisaient invariablement à chaque lutte nouvelle. Consultez le passé, recueillez le récit des batailles navales, refaites-en l’étude critique, si souvent faite : au milieu de la diversité des incidens vous verrez que l’uniformité des armes a toujours produit des effets uniformes. Avant de s’aborder, les escadres se disputent pendant