Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guerre des Deux Roses, l’église avait pris une place subordonnée dans l’état au-dessous de l’autorité civile, et la chambre des communes, par l’effacement des deux grands pouvoirs qui forment le contrepoids naturel de la royauté, avait, pendant un siècle au moins, exercé un rôle arbitral et prépondérant.

Qu’une société si avancée politiquement n’ait pas échappé au despotisme, cela montre bien ce que peuvent au juste les institutions prises en elles-mêmes, c’est-à-dire séparément des hommes qui les mettent en œuvre, et ce qu’il est autrement chimérique d’en attendre. Les institutions, l’Angleterre les avait au complet pour ainsi dire ; les rapports constitutionnels des grands facteurs politiques étaient pleinement établis ; c’étaient les hommes qui manquaient aux choses. Parmi les lords spirituels, aux prélats noblement apparentés[1], hommes d’état, conseillers publics, diplomates, avaient succédé d’obscurs théologiens, hommes de doctrine, heureux de jouir en paix de leurs prébendes[2]. Parmi les lords temporels, des courtisans, des parvenus, des enrichis, avides de titres et d’argent, enchaînés par des libéralités récentes, avaient remplacé les grands nobles jaloux d’exercer le pouvoir. Naturellement, les plus considérables parmi les nobles nouveaux étaient de ceux qui eussent figuré à la chambre des communes ; celle-ci perdait ainsi son élite et ses- guides. L’ancien personnel de chaque estate étant épuisé, l’établissement politique se trouvait dans la condition d’une usine où la maîtrise et les compagnons exercés à diriger chaque grand appareil auraient disparu dans un accident. Des équipes de rencontre avaient été embauchées, elles restaient interdites devant ces rouages, y portaient la main gauchement et trouvaient enfin plus court et plus sûr d’obéir aveuglément au maître. Cela dura cent cinquante ans. Mais la machine n’en subsistait pas moins avec tous ses organes, elle invitait la main, elle se prêtait à des essais, elle contribuait à exercer, à enhardir, à discipliner par degrés un personnel nouveau ; voilà pourquoi la liberté politique fut si prompte à renaître.

Dès que les estates eurent ainsi reconstitué leurs cadres, le despotisme ne put pas subsister. Il tomba en 1648, se releva, tomba encore et définitivement en 1688. Le propre de ces deux révolutions, c’est que, pour asseoir le gouvernement libre qui suivit, elles n’eurent aucun ressort politique à créer, aucune relation nouvelle à établir entre les pouvoirs, aucun changement à

  1. Macaulay, History of England, I, p. 373.
  2. Il est remarquable qu’après la réforme, aucun prélat anglais n’ait plus joué un rôle politique considérable, alors qu’en France les plus illustres de nos premiers ministres ont été des hommes d’église.