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un nombre immense de bénéfices, les conférer à ses créatures italiennes.

La situation de l’église dans les autres pays n’était pas très différente de celle que je viens de décrire. Ce qui est à remarquer en Angleterre, c’est la résistance particulièrement résolue et efficace de l’esprit laïque. Or cet esprit, il ne faut pas s’y tromper, n’est pas ici pour son propre compte ; il fournit une issue à ce sentiment national dont j’ai montré les causes profondes et la singulière vivacité et qui, mêlé à tout ou tirant tout à lui, prêtant à tout sa forme, ou sa substance, ne pouvait pas manquer d’unir et de confondre sa propre querelle contre l’ingérence étrangère avec la querelle du pouvoir civil contre la papauté, du siècle contre l’église[1]. Plusieurs circonstances ajoutent à sa force et le servent dans la lutte. Les hauts dignitaires ecclésiastiques, on l’a vu, sont de la même classe et parfois du même sang que les grands vassaux laïques ; ils ont combattu avec eux et au premier rang, à l’époque de la charte des libertés. Ils subissent comme eux la pression de cette sorte de conscience extérieure qui tient tous les Anglais unis dans une même haine de l’oppression, dans une même suspicion contre l’étranger. Ils se comportent presque tous en hommes d’état plus qu’en chefs d’une corporation distincte, en Anglais plus qu’en princes de l’établissement, romain. La chambre des lords, où ils sont de beaucoup en majorité sur les pairs laïques, a pu se montrer moins complaisante que la chambre basse aux attaques dirigées contre l’église. Elle n’en a pas moins voté toutes les lois de défense de la société civile. Une sorte de préanglicanisme pénètre tout ce haut clergé. Une autre circonstance non moins propice est, que le bas clergé ne siège pas aux communes ; il s’en est retiré volontairement ou par l’ordre de ses chefs, et délibère à part dans les convocations, assemblées de nature et de forme purement ecclésiastiques. Trompés par la force de leur position dans la chambre dirigeante et dans le conseil, les prélats estimèrent qu’ils suffisaient à tout et qu’ils feraient sagement de ne pas laisser leur clergé figurer, dans l’autre assemblée politique où, moins nombreux que les laïques, il pourrait subir à l’occasion la loi des majorités. Ils déclinèrent obstinément toute représentation dans la chambre des

  1. La prohibition des dons de terres aux maisons religieuses parait dès 1217 dans la grande charte. Mais ce n’est encore ici qu’une précaution destinée à protéger l’assiette de l’organisation militaire féodale. La séquestration de la papauté par Philippe le Bel parait marquer le point de départ d’une recrudescence dans les sentimens d’hostilité des Anglais pour le siège de Saint-Pierre. L’orgueil national, en éveil et en arrêt, avive évidemment les soupçons et la défiance contre un pouvoir qui est devenu l’instrument d’un étranger voisin et puissant. (Green, I, ch. IV.)