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partir du XVe siècle, on peut dire que la masse de l’ancienne chevalerie anglaise n’est plus qu’une haute classe rurale dans laquelle figurent, avec des droits égaux, tous les propriétaires libres importans du comté. Le Pogge[1] les dépeint à cette même époque adonnés à l’agriculture, vendant la laine et le croit de leurs troupeaux, estimant sans, honte de s’enrichir par cette voie et jugeant de la noblesse d’après la fortune.

On voit combien il est vrai de dire que le régime féodal, dans le sens précis de ce mot, n’a pas existé en Angleterre. Premièrement, les grandes satrapies provinciales n’ont pas eu ici occasion de se produire. Des deux autres élémens politiques de la féodalité, l’un, la justice domaniale, n’a eu qu’un développement restreint, sans vigueur et sans durée ; elle n’a que bien rarement dépassé en étendue les limites d’une juridiction manoriale et ne s’est jamais élevée en compétence à la dignité de la haute justice[2] ; de très bonne heure, elle a plié et s’est effacée devant les tribunaux royaux, et le XIVe siècle ne la connaît pour ainsi dire plus. L’autre élément, le fief militaire, s’est, dans le siècle même qui l’avait vu se produire, affranchi de l’obligation du service des armes moyennant une redevance spéciale qui n’a pas tarde à perdre son nom et à se confondre dans l’ensemble de la taxation civile[3]. Aucun escuage n’a été levé, selon Coke, après la huitième ; année d’Edouard II. Le reste des charges, celles-ci purement fiscales, qui pesaient sur les tenures en chevalerie, paraissaient déjà surannées sous Jacques Ier. Elles sont définitivement abolies par commutation financière sous Charles II, et toutes les tenures sans exception sont ramenées au type de la propriété libre ordinaire, dite en socage. Il n’y a plus de terre féodale en Angleterre à partir de 1660.

Les élémens civils du régime foncier n’ont pas été plus lents à s’affranchir et à prendre un caractère moderne. La fin du XIVe siècle voit naître et gagner rapidement la pratique du fermage ; or, cette forme de tenure apparaît, dès le principe, comme absolument purgée de tout caractère féodal ; elle repose sur des rapports purement économiques et c’est le principe de la liberté des contrats qui en fournit toutes les formules. Certains droits excessifs, réservés au propriétaires, ne remontent nullement au moyen âge ; les plus rigoureux sont une invention tardive de l’aristocratie foncière ; ils datent du XVIIIe siècle. Quelques auteurs citent volontiers, comme le signé d’un profond et persistant esprit

  1. Le Pogge, de Nobilitate.
  2. Gneist, I, 111 et Stubbs, I, 399.
  3. Stubbs, II, 522.