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financier et commercial. Aujourd’hui, ce n’est vraisemblablement qu’un palliatif insuffisant qui ne guérira rien, qui laissera subsister tous les malaises. — Est-ce donc enfin qu’il n’y ait aucun remède à ces crises d’aujourd’hui, qu’on ne puisse plus sortir de cette phase obscure où nous sommes engagés ? Il y a certainement un premier moyen : c’est de revenir au bon sens, à la raison, à la prévoyance dans les finances, à l’équité dans les lois ; c’est de ne pas tout remuer et tout saccager, de laisser le pays respirer dans l’ordre et dans la paix. En d’autres termes, ce qu’il faudrait avant tout, c’est un changement de politique devenu plus que jamais nécessaire pour la sécurité intérieure aussi bien que pour les intérêts extérieurs de la France.

Les difficultés que l’Europe se crée par ses promenades conquérantes dans toutes les parties du monde, les négociations sur le Congo ou sur l’Egypte, et même nos propres affaires du Tonkin, toutes ces questions pâlissent bien aujourd’hui devant un de ces événemens imprévus qui sont les coups de théâtre de l’histoire contemporaine.

Qui aurait dit, il y a peu de jours encore, que l’Angleterre, avec cette éternelle affaire d’Egypte, touchait à une épreuve cruelle et irritante pour son orgueil national, qu’elle était à la veille des plus étranges péripéties dans cette expédition qu’elle a entreprise au cœur du Soudan pour aller au secours de Gordon ? Tout semblait, au contraire, promettre à ses armes un succès prochains le chef de l’expédition, lord Wolseley, paraissait avoir préparé avec prudence ses difficiles opérations. Les colonnes, à la vérité bien dispersées et assez faibles, qu’il avait organisées, étaient en mouvement : l’une, celle du général Earle, remontant le Nil ; l’autre, celle de sir Herbert Stewart, se dirigeant, à travers le désert, sur Metammeh. Le général en chef était resté lui-même à Korti, attendant sans doute de savoir sur quel point il devrait se porter avec les réserves qu’il avait gardées. La colonne de sir Herbert Stewart, dans sa marche pénible à travers les sables, avait surmonté victorieusement toutes les difficultés ; elle avait pour la première fois rencontré, aux abords des puits d’Abou-Klea, les forces du mabdi, et elle leur avait infligé une défaite sanglante. Peu après, en se battant constamment, elle était arrivée au Nil, qui était le salut pour elle. On croyait déjà toucher le but ; on le croyait surtout en voyant apparaître sur le fleuve quelques steamers qui semblaient venir à la rencontre des soldats anglais, qui étaient, censés envoyés de Khartoum par Gordon lui-même. On se fiait si bien, à ce miraculeux hasard, qu’un des chefs de l’armée, sir Charles Wilson, se chargeait aussitôt de remonter le Nil avec un petit détachement pour aller, sans plus de retard, donner la main à celui qu’on croyait encore le maître de Khartoum, à cet étrange et romanesque Gordon qui passionne l’Angleterre depuis plus d’un an. Les Anglais en étaient là il y a quelques jours à peine, lorsque, en un instant, tout