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obstacles, enlevant tous les retranchemens élevés devant lui et mettant les Chinois en fuite dans une série de rencontres, est déjà, à ce qu’il semble, aux portes de Lang-son, où il peut entrer d’un instant à l’autre ; à Formose, la situation est certainement moins nette. Depuis que M. l’amiral Courbet a paru devant Kelung et devant Tamsui, il y a bientôt six mois, on est toujours là, dans des positions peu avancées, sans pouvoir sortir d’une défensive assez pénible, faute de forces suffisantes. Ce n’est point évidemment la faute de nos soldats ni de leurs chefs, c’est la faute de ceux qui ne leur ont pas donné les moyens de vaincre. Si l’on ne voulait pas agir sérieusement, le plus simple était de se borner à une démonstration, de ne pas paraître s’obstiner dans une conquête qui n’avait pas peut-être l’importance qu’on lui a d’abord attribuée et qui, dans tous les cas, divisait nos forces ; si on voulait aller jusqu’au bout, jusqu’à une prise de possession de l’Ile, la première nécessité était d’envoyer aussitôt des renforts à Kelung, à ce petit et vaillant contingent qui, depuis six mois, décimé par le feu et les maladies, avait, ces jours derniers encore, un vif combat à soutenir. Ce qu’il y a de plus clair, c’est qu’on n’a rien fait, ou à peu près, à Formose, qu’on a continué à temporiser, et que, si M. le général Brière de l’Isle, en réunissant la plus grande partie de ses forces, a pu marcher sur Lang-Son, M. l’amiral Courbet, de son côté, ne pouvant poursuivre des opérations sérieuses à Kelung et à Tamsui, a cru plus utile d’aller montrer ses navires sur les côtes de la Chine. Faut-il en conclure que notre gouvernement est maintenant disposé à porter ses efforts de préférence sur le Tonkin, en délaissant un peu Formose, en se bornant du moins à garder les positions qu’on a prises ? C’est possible, — ce serait peut-être utile, quoique un peu tardif. De toute façon, on ne peut évidemment en rester là, d’autant plus que la question principale, celle d’une guerre ouverte, déclarée, avec l’empire de Chine semble toujours indécise. Il y a deux mois déjà que le gouvernement a reçu par un vote de confiance tous les pouvoirs nécessaires pour en finir avec ces affaires du Tonkin et de la Chine, soit par la paix, soit par un effort nouveau proportionné aux circonstances ; c’est bien le moins qu’après deux mois le pays tienne à savoir ce qui a été fait, ce qu’on se propose de faire pour ses intérêts, s’il peut espérer le dénoûment prochain de ces complications, ou s’il doit s’attendre à une guerre plus étendue, dont il aurait à mesurer les conséquences avant d’avoir à les payer.

La politique qui a présidé à cette entreprise un peu extraordinaire n’a point été, à vrai dire, jusqu’ici assez brillante pour inspirer une entière confiance. Elle se ressent fatalement de toutes les complications intérieures qui sont une des faiblesses de la situation de la France, et, s’il est un homme dans le gouvernement qui ait, plus que tout autre, à souffrir de cette politique, c’est à coup sûr le ministre de la guerre, qui n’a pas seulement à donner des soldats pour le Tonkin,