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plus sortir. Il n’a fallu rien moins qu’une garantie de l’état pour décider, il y a quarante ans, quelques hommes audacieux à entreprendre le chemin de fer de Paris à Orléans et aujourd’hui on prodigue les milliards pour multiplier des railways aux trois quarts inutiles. En revanche, on hésite à risquer 25 millions pour conquérir une province à l’agriculture, et dans moins de cinquante ans peut-être les torrens artificiels seront employés à démolir les Alpes d’outre en outre.

En attendant, plutôt que de construire à si grands frais tant d’œuvres stériles, mieux vaudrait encore, comme faisaient nos pères, à défaut de l’utilité pratique, consacrer nos efforts à l’utilité artistique ou morale. Mais, à cet égard, la difficulté ne serait peut-être pas moindre. Les chefs-d’œuvre de l’art ne s’improvisent pas par un vote parlementaire. Chaque époque porte ses fruits. La nôtre ne peut songer à sculpter des arcs de triomphe, et dans l’idée qui préside à la construction des écoles laïques elle retrouverait difficilement l’inspiration qui a enfanté les cathédrales.

Force nous est de rester de notre temps, plus apte à produire des maçons que des artistes. A défaut de grandes et belles choses, si nous devons nous contenter de choses utiles, tâchons du moins qu’elles aient pour effet de contribuer au développement du bien-être matériel des masses, cette unique religion du moment.

J’ai pour ma part longuement réfléchi à la solution de ce problème économique. J’avais pensé que, en dehors de cette trop exclusive préoccupation d’améliorer nos voies de transport, il était peut-être d’autres moyens de dépenser fructueusement notre activité sociale et nos économies pécuniaires ; qu’on pourrait leur trouver un utile emploi dans l’augmentation de notre territoire agricole et de notre domaine commercial, tant au dedans qu’au dehors ; d’une part, la fertilisation des Landes, substituant à des sables stériles une riche province plus vaste et plus fertile que ne l’était l’Egypte des pharaons au temps de sa splendeur ; d’autre part, le chemin de fer Transsaharien, cette voie stratégique du commerce et de l’industrie, ouvrant tout un monde à notre expansion civilisatrice si brusquement refoulée sur elle-même.

Peut-être sont-ce là des utopies dont il faudra ajourner la réalisation au siècle prochain. A la rigueur, nous pouvons attendre pour les Landes. Il ne s’agit là que de quelques milliards de valeur agricole à créer sur un sol qui ne peut nous échapper. Nos enfans les retrouveront à défaut de nous ; mais retrouveront-ils l’héritage colonial que nous leur aurons fait perdre au dehors ? La question qui s’est posée au siècle dernier, de savoir si l’Inde serait anglaise ou française, se reproduit à l’heure actuelle pour le continent africain.