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qualités. Par le fait de sa mobilité naturelle, l’eau en repos cède sous l’action du levier, et elle est, en outre, dans les rivières, animée d’une vitesse propre qui, aidant à l’action du levier moteur à la descente, la contrarie à la remonte. De là une double cause de déperdition de force, un double recul qu’augmente dans des proportions considérables la puissance à donner aux appareils moteurs de la navigation fluviale. La déperdition due au recul en eaux mortes est parfois de 30 pour 100 de la force vive employée. En eaux courantes, elle est en quelque sorte illimitée. C’est elle qui crée la principale difficulté de la navigation sur le Rhône, qui oblige de donner aux bateaux ces formes anormales, disproportionnées, aussi gênantes pour la manœuvre que peu satisfaisantes pour l’arrimage des marchandises.

Tous les efforts des ingénieurs qui s’occupent de l’endiguement des rivières, tendant nécessairement à la concentration des eaux divergentes dans un canal d’écoulement unique, étroit et profond, ont fatalement pour conséquence d’accroître avec son intensité ; l’obstacle résultant de la vitesse du courant, plutôt que de le diminuer. Ce résultat, qu’on poursuit aujourd’hui, de concentrer les eaux d’étiage du Rhône dans un chenal de largeur constante, avec une profondeur qu’on ne saurait rendre uniforme, mais qu’on espère pouvoir porter à un minimum de 1m, 60, ce résultat serait-il obtenu, que les frais de traction proprement dite, comprenant les dépenses de matériel et les frais de combustible, seraient encore beaucoup plus grands pour les bateaux luttant contre le courant accéléré du fleuve, qu’ils ne le sont pour le roulement des wagons sur le rail qui lui est parallèle.

En réduisant ses tarifs, sans qu’ils cessent d’être rémunérateurs pour lui, le chemin de fer pourra toujours éteindre, ou maintenir à l’état latent où nous la voyons aujourd’hui la concurrence de la batellerie. Ainsi que je le disais tout à l’heure, si ce résultat négatif, l’abaissement des tarifs, était absolument indispensable, on pourrait l’obtenir sans s’imposer ce travail de Pénélope pour améliorer une voie de transport qui, de l’aveu de ses plus chauds partisans, ne rendra jamais d’autre service. Et cependant ce ne serait plus assez que d’endiguer le Rhône. Pour compléter l’entreprise de ce fleuve navigable sans navigation, il a déjà fallu lui construire dans les marais de la Camargue un fantôme de port qui sera envasé avant d’avoir reçu un seul navire ; et il est question de donner au canal tout aussi délaissé de Beaucaire à Cette des dimensions suffisantes pour livrer passage à cette fantastique batellerie du Rhône, qui n’existera jamais qu’à l’état d’épouvantail pour la compagnie du chemin de fer.