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placide, sans autres armes que ses bras et ses mains gigantesques, engloutissant la plus grande partie du continent américain, tandis qu’une foule de lilliputiens, armés jusqu’aux dents, le Turc, le Yankee, l’Allemand, l’Italien, le contemplent d’un air envieux et stupéfait. Pour développer sa puissance et frayer la voie à l’émigration, pour que ses immenses terres noires deviennent plus rapidement le grenier du monde, le géant sillonne le Dominion de canaux, de lignes ferrées ; il a achevé l’Intercolonial, dépensé 250 millions pour canaliser le Saint-Laurent, et voici qu’il construit le Transcontinental qui, reliant les deux océans, de Port-Moody à Halifax, mettant une partie de l’Asie en communication avec l’Europe, va traverser la confédération entière sur une longueur de 4,650 kilomètres. My politic is railway : Ma politique est une politique de chemins de fer, avait dit sir Allan Mac-Nab, et sir John Mac-Donald s’est emparé de la devise. Le projet toutefois a subi mainte vicissitude : le parti conservateur, qui en avait eu l’initiative, tombe en 1873, pour avoir concédé la ligue à un capitaliste canadien qui commit la faute de chercher à s’entendre avec des financiers américains liés à une compagnie rivale. Le parti libéral en prend la responsabilité, dépense plus de 15 millions en frais d’explorations, mais, répugnant à engager le crédit du pays dans de grandes opérations, il se borne à suivre le mouvement, à emboiter le pas derrière l’émigration, au lieu d’aller de l’avant. En 1878, les conservateurs remontent au pouvoir, et, dès l’année suivante, ils signent avec un syndicat une convention par laquelle celui-ci s’oblige à terminer le Transcontinental en 1890, moyennant une subvention de 130 millions de francs, qui vient d’être augmentée de 157 millions, et une concession de 10 millions d’hectares de terres. Dès lors les travaux se poursuivent avec une véritable fureur : neuf mille ouvriers sont employés aux seuls travaux sur le lac Supérieur, et la compagnie du Pacifique a désarmé les préventions de l’ancien premier ministre libéral, M. Mackenzie, qui, revenant des montagnes Rocheuses, adressait tout récemment une dépêche des plus flatteuses à son président, M. Geo Stephen. Il ne reste plus à faire aujourd’hui que 1,300 kilomètres environ, et l’inauguration est fixée en 1886. On a calculé que le voyage de Liverpool ou du Havre au Japon par Montréal et le Pacifique Canadien sera de 1,722 kilomètres plus court que par New-York et le Transcontinental américain : le tarif d’émigration de Québec à Winnipeg va être réduit de 31 à 12 piastres.

Dans un discours prononcé le 5 février 1884, sir Charles Tupper, ministre des chemins de fer et des canaux, présentait, au sujet du Nord-Ouest, des chiffres digues d’attention. 100,000 cultivateurs, ensemençant chacun 320 acres, avec un rendement moyen de 20 minois, y récolteraient 640 millions de minots d’excellent blé,