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combiné de manière à assurer le triomphe de la politique d’absorption : un fantôme de gouvernement libre, une ombre de régime représentatif, l’hypocrisie légale préparant la victoire d’une coterie contre un peuple ; aucune enfin de ces garanties tutélaires du droit constitutionnel : ministère responsable, indépendance de la justice, du parlement, prépondérance financière des représentans du pays. Beaucoup d’anciens patriotes ont disparu, d’autres renoncent à la vie publique, et il ne manque pas d’individus, à l’âme vacillante et vénale, qui conseillent la résignation, prêchent, selon la forte expression de M. Chauveau, l’apostasie nationale en attendant l’apostasie religieuse, et concluent à la déchéance graduelle de la langue française dans les collèges. Cependant, deux ans à peine s’écoulent, et voilà qu’un ancien patriote, M. La Fontaine, devient ministre, les droits de ses concitoyens sont reconnus : la langue française rentre triomphante dans ce parlement dont on l’a exilée.

Comment ce prodige politique s’est-il accompli ? Comment les calculs des uns, les craintes des autres ne se sont-ils point réalisés ? Pourquoi les choses ont-elles suivi leur cours naturel, comme si l’on ne dût tenir aucun compte des insurrections de 1837-1838 ? C’est que les Canadiens n’ont pas entendu perdre en un jour le fruit de quarante années de luttes légales et de patiente stratégie, c’est qu’après le premier moment de panique, ils ont reformé leurs rangs, compris que les peuples creusent eux-mêmes leur sillon dans le champ de l’histoire et qu’il dépend d’eux de vivre ou de mourir, c’est qu’ils ont été ramenés au combat par des chefs intrépides, adversaires décidés du pessimisme politique, habiles à manier les armes que leur fournissait l’ennemi, résolus à ne plus livrer au hasard ce qui peut être assuré par la prudence. Unis au clergé, secondés par une foule d’écrivains enthousiastes, MM. La Fontaine, Viger, Taché, Morin, Parent, résistent aux premiers assauts de la camarilla et lient partie avec les libéraux réformistes du Haut-Canada : les Anglais veulent que la charte devienne une vérité, les Canadiens français visent plus haut et plus loin. C’est au milieu de la plus grande agitation qu’ont lieu les élections de 1841 : le gouverneur, lord Sydenham, intervient personnellement dans la lutte, prive de son droit de suffrage une partie de la population de Québec, de Montréal, change les bureaux de vote, contraint des candidats à reculer devant la force armée. Le sang coule, des meurtres sont commis et, malgré tout, dans le Bas-Canada, vingt-trois libéraux ou anti-unionistes triomphent, les unionistes n’emportent que dix-neuf sièges. Dans le Haut-Canada, où les élections se sont accomplies sur le principe de la réforme, vingt-six partisans de celle-ci entrent à la chambre, tandis que les tories n’ont réussi que dans