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Ces réflexions, comme on l’entend bien, ne viennent à la bouche de M. de Montcal que pour justifier une situation de tous points analogue à celle où se trouvait alors Prévost lui-même. Il garda longtemps sur le cœur une rancune amère de l’accueil que lui avaient fait les religionnaires français.

À ce moment critique, au surplus, ses compatriotes ne l’avaient pas en beaucoup meilleure odeur, comme le prouve une plate épigramme qui courait les cafés de Paris :

Qu’est devenu l’auteur du Pour et Contre,
Maître Didot ? — Messieurs, je n’en sais rien.
— Nul ne le lit, et nul ne le rencontre ;
Se serait-il refait Ignatien ?
Bénédictin ? Soldat ? Comédien !
A-t-il enlevé femme ou fille ?
L’a-t-on mis dans quelque Bastille
Pour faux billets au libraire déçu ?
Est-il à Londres ? à Paris ? en Turquie ?
Répondez donc. — Messieurs, dessus ma vie,
Ce que je sais, c’est qu’il n’est pas pendu.


Maître Didot, que l’épigramme interpelle, c’était François Didot, celui que l’on peut bien appeler de nos jours le fondateur de la dynastie des Didot ; et le Pour et Contre, c’était le journal auquel Prévost avait.demandé ses moyens d’existence.

Dans cet ouvrage d’un goût nouveau, dit le titre, l’extrait des principaux ouvrages qui paraissaient à Paris ou à Londres figurait à côté des « Inventions extraordinaires de l’art ; » et, « le Caractère des dames distinguées par leur mérite » y tenait sa place, non loin du compte-rendu de l’état des lettres et des sciences. Quant au titre lui-même, il signifiait, selon les propres paroles de Prévost, que le journaliste s’expliquerait sur tout sans prendre parti pour rien. Le journal dura de 1733 à 1740 : la collection en forme vingt petits volumes. Jules Janin, qui de sa vie n’avait lu, ni feuilleté, ni peut-être touché seulement le Pour et Contre, ne l’a pas moins célébré quelque part comme « un immense recueil où se trouvent réunis la plus vaste érudition, l’esprit le plus pétillant et la plaisanterie la plus divertissante. » Ce sont autant de contre-vérités. La « vaste érudition » de Prévost, comme aussi bien celle de Jules Janin, se réduisait alors à connaître à peu près son Horace, et, tout contemporain qu’il soit de Le Sage et de Voltaire, s’il lui manque assurément quelque chose d’un homme du XVIIIe siècle, c’est l’esprit, comme à Rousseau, d’ailleurs, et comme à Bernardin de Saint-Pierre. En réalité, la meilleure part du Pour et Contre est formée d’abord d’un certain nombre de Nouvelles qui depuis, sous le titre