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dans le bassin du Nord aussi bien que dans celui du Midi. Ce ne sont pas seulement des escadres d’évolutions, ce sont des escadres d’observation qui nous sont imposées. « La diplomatique n’est pas mon régime, » me disait, il y a quarante-cinq ans, dans son français légèrement incorrect, le vénérable amiral Stopford : elle ne saurait davantage me tenter. Et pourtant ! la politique extérieure d’un état ne peut manquer d’exercer une grande influence sur la direction à donner à la constitution de la flotte. Ce serait folie de vouloir créer, dans les temps où nous vivons, une marine à toutes fins : les grandes visées coloniales ne comportent pas le matériel naval que commanderaient des préoccupations d’un autre ordre. Dans le vague où me laisse mon ignorance absolue des rapprochemens qui tendent à s’opérer, des complications qu’un avenir plus ou moins prochain fera naître, je n’hésite pas à courir d’abord au plus pressé : ne compromettons jamais notre prépondérance côtière ! Tout effort qui la menacera doit appeler de notre part un effort analogue, effort prompt, sérieux, tel qu’il le faut attendre d’un peuple qui a vu si récemment son indépendance nationale menacée. Il ne nous est pas permis de laisser une portion aussi considérable de notre territoire découverte.

J’ai raconté ailleurs comment la tactique militaire des Grecs dut changer quand la conquête de l’Inde eut fait entrer les éléphans en ligne : les vaisseaux cuirassés joueront longtemps encore, dans la guerre maritime, le rôle qu’Antigone, Séleucus et Eumène attribuèrent, dans les plaines de l’Asie-Mineure, aux monstres disciplinés par Taxile et Porus. Les éléphans gardèrent pendant près d’un siècle leur poste de bataille ; ils durent battre en retraite devant la légion romaine : les vaisseaux cuirassés finiront bien aussi par disparaître ; l’heure de les licencier ne me paraît pas venue. Dans les mers profondes, je voudrais continuer d’associer cette massive réserve à nos escadrilles ; je ne l’enverrais pas dans les parages où il serait facile de lui opposer un rempart de roches et de hauts-fonds. On arrivera probablement un jour à donner à nos torpilleurs toutes les qualités qui leur sont nécessaires pour affronter en pleine sécurité la haute nier ; on aura plus de peine à en faire des oiseaux de grand vol. De toute façon, ces torpilleurs transformés ne seraient plus des bâtimens de flottille. La flottille, telle que je la conçois, se compose de navires de dimensions chétives, d’une valeur vénale insignifiante. Je la destine surtout à infester les bras de mer étroits. Course ou descente, sur ce terrain propice elle se prête aisément aux opérations les plus diverses. Si je la concentre, les colosses, à son approche, se troublent et, sur le rivage, les corps d’armée s’essoufflent à la suivre ; si je la disperse, un seul de ses méfaits suffit