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cet exemple. N’a-t-il pas, de nos jours, mené en un mois quinze galères de Rochefort.au Havre ? N’a-t-il pas ensuite conduit cette escadre en Angleterre et favorisé la descente qu’on y fit en 1690 ? Combien de fois n’a-t-on pas vu des galères donner chasse en pleine mer à des vaisseaux de guerre qui ne portaient que leurs basses voiles ! L’Espagne, dans ce temps même où le royaume paraît si près de sa décadence, compte encore quinze galères à Naples, cinq en Sicile, trois en Sardaigne, sept à Carthagène. Si le grand-duc de Toscane n’entretient aujourd’hui que trois galères, c’est uniquement parce que trois galères suffisent pour défendre contre les corsaires la petite étendue de ses côtes. Les entreprises qu’on fait avec des galères sont d’autant plus faciles à exécuter qu’elles sont plus difficiles à prévoir. La seule apparition d’une force navale embarrasse et déconcerte le commandant d’une province maritime : elle l’oblige à diviser ses forces et à fatiguer ses troupes par de fréquentes marches. »

Ai-je voulu soutenir une autre thèse quand j’ai prédit, il y a près de quinze ans, que les flottilles ne tarderaient pas à changer la face de la guerre maritime et à faire rentrer la marine dans le jeu des armées ?

« Depuis plus de dix ans, continue Barras de La Penne, on a tellement laissé dépérir nos galères qu’on n’a plus une seule coque qui n’ait besoin d’un très grand radoub ; les chiourmes ne sont pas en meilleur état. Cependant, comme il en reste un bon levain, on aura bientôt fait de les rétablir. Je m’arrête au chiffre de vingt-quatre galères : ce nombre me paraît aujourd’hui suffisant, en attendant que les lumières du conseil de marine et le sublime génie de M. le régent aient remis la France dans son ancien lustre. »

Stérile éloquence ! Les temps étaient venus et la réponse à ce cri de détresse ne se fit guère attendre. Un édit de 1748 supprima le corps des galères. Depuis un siècle et demi, la galère est donc morte : il n’y a que nous qui puissions aujourd’hui la faire revivre. Napoléon lui-même y a failli : il n’avait pas malheureusement nos ressources. Personne ne contestera qu’une transformation complète ne soit à la veille de s’opérer dans le matériel naval. Demandez aux Allemands et aux Russes ce qu’ils en pensent. La possession de la Baltique, celle de la Manche et de la Mer du Nord, ne seront pas disputées par des croiseurs ; elles le seront par des flottilles. Être maître de ces trois bassins européens, c’est l’être, en réalité, de toute la navigation marchande : à quoi bon exploiter le commerce du monde, quand les richesses amenées de si loin vont être interceptées en vue de la terre natale ?