Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/798

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

long des arbalétrières et de la coursie était de 200 environ ; on comptait de 300 à 400 combattans sur les capitanes et sur les galères à fanal. La galère à fanal, montée par un capitaine qui avait, dans la marine à rames, le rang que nous attribuons à nos chefs de division, servait, par la marque distinctive qu’elle arborait le jour et par le fanal qu’elle portait allumé la nuit, à multiplier les points de ralliement et les centres de direction.

Dès que les retranchemens sont achevés, on apporte sur la coursie du pain, du vin, du fromage. Ne faut-il pas être prêt à soutenir les efforts de la chiourme pendant le combat ? Ce n’est certes pas le moment de lésiner. Les arquebusiers reçoivent ensuite l’ordre de poser leurs arquebuses sur les fourchettes de la pavesade ; les bombardiers s’empressent de charger leurs pièces. Les projectiles dont on va faire usage seront aussi nombreux que variés : telle pièce ne contiendra que des boulets enchaînés ou des boulets rames ; telle autre sera bourrée, presque jusqu’à la gueule, de cailloux arrondis, d’éclats de pierres tranchantes et de balles de plomb. « Ce que je vous demande avec instance, écrivait don Juan d’Autriche au vice-roi de Naples, don Garcia de Toledo, quatrième marquis de Villafranca et général des galères de Sicile[1], c’est de me faire savoir le plus tôt possible si, dans votre opinion, une flotte qui se porte à l’encontre de l’ennemi, doit ouvrir le feu la première ou laisser à l’ennemi l’initiative de l’attaque. » — « On ne peut, répond Toledo, tirer deux fois avant que les galères s’abordent : il faut donc, à mon sens, faire ce que recommandent les armuriers, — tirer son arquebuse si près de l’ennemi que le sang vous saute au visage. J’ai toujours entendu dire, — et par des capitaines qui savaient ce qu’ils disaient, — que le bruit des éperons qui se brisent doit se confondre avec celui de l’artillerie qu’on décharge et ne produire en quelque sorte qu’un seul son. Quand on se propose de tirer avant l’ennemi, il y a cent à parier qu’on tirera de trop loin. Tel est mon sentiment. » Je me permettrai d’ajouter : Tel est aussi le mien. Dès l’année 1868, et dix ans même plus tôt, au moment d’entrer dans l’Adriatique, huit ans, par conséquent, avant la bataille de Lissa, j’écrivais : « Le jour où le navire est intervenu dans la lutte avec toute la puissance de sa masse, la déchéance de l’artillerie a commencé. Dans la situation relative où se trouvent aujourd’hui le navire et la bouche à feu, il n’est pas un amiral qui osât présenter le travers à l’ennemi avec l’espoir de l’arrêter ou de le détourner de sa route. C’est par le choc qu’il faut vaincre, contre le choc aussi qu’il faut se prémunir. Aux approches de la flotte qu’il va combattre, un vaisseau n’a rien de mieux à faire que

  1. Messine, 31 août 1571.