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résigner à mettre à la cape pour attendre le jour. Un coup de canon tiré par la réale fait connaître cette résolution du général à l’escadre : chaque capitaine se prépare à exécuter la manœuvre prescrite : Mole le bras de l’escotte de la drette ! Alle la bonigue en son lieu ! Casse à poupe la senestre et alle la bouline à la droite !

C’est donc sous le tréou, avec une voile carrée hissée en tête de l’arbre de mestre, amurée sur l’avant, bordée sur l’arrière et bien boulinée, avec une voile occupant le centre du navire, comme la grand’voile à bord de nos vaisseaux, que les galères vont, suivant l’expression consacrée, caper tribord amures. Néanmoins, quand une galère se trouve désemparée, par un coup de mer ou par un coup de canon, de son gouvernail, il est préférable de tenir la cape sous le polacron. De toute façon, il faut toujours, comme première manœuvre, amener le trinquet.

Une galère ne se comporte pas trop mal à la cape, quand les précautions indiquées par une vieille expérience sont bien prises. Il est sage de transporter la palamante de l’apostis sur le second filaret[1]. Les rames seront ainsi plus élevées au-dessus de l’eau et risqueront moins de se briser dans les mouvemens de roulis. C’est ce qu’on appelle en terme de galère : mettre les rames sur les filarets. Nous vous conseillons cependant de laisser les quartiers de proue à leur poste et de vous tenir prêts à les faire voguer, si jamais la galère menaçait de prendre vent devant, ce qui occasionnerait un dangereux mouvement d’acculée et obligerait à mettre bas précipitamment l’antenne de mestre. Rentrez à bord le couronnement et la bancasse de poupe, dégagez la timonière de tous les objets qui l’encombrent, retirez les deux bâtardes en arrière, faites descendre dans la coursie les matelots qui se trouvent d’ordinaire sur les rambades, soulagez en un mot, par tous les moyens possibles, le devant de la galère et attendez ainsi patiemment que le vent calme ou que le jour paraisse. Pour ne pas s’aborder et ne pas s’égarer pendant la nuit, les galères arboreront toutes un fanal à la penne de mestre. L’épreuve, je ne puis vous le dissimuler, sera rude : elle le sera du moins pour des marins que la couche de duvet de la civilisation n’a, hélas ! que trop amollis.

Est-ce que les coups de cape se comptaient chez ces rudes champions du Nord, qui se faisaient gloire ci de ne jamais chercher d« refuge sous un toit, de ne vider leur cornet à boire auprès d’aucun foyer[2] ? » Nous admirions les canotiers d’Athènes : quelle

  1. Les filarets sont une série de cordons extérieurs.
  2. Voyez, dans la Revue du 1er février 1884, la Marine des empereurs et les Flottilles des Goths.