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aujourd’hui, c’est la coïncidence de cette récente explosion de Londres avec la révélation d’une entente établie entre quelques-uns des gouvernemens du continent pour la répression des attentats politiques. On a cherché quelquefois ce qu’avait pu produire l’entrevue des trois empereurs à Skierniewice pendant le dernier automne. Voilà, au moins, pour une bonne part, le grand secret. On avait pu le soupçonner jusqu’ici ; il se dévoile maintenant par deux ou trois actes parfaitement clairs, qui sauf quelques nuances, ne sont que l’expression d’une même politique de répression et de défense commune. Le premier de ces actes est tout simplement, sous la forme d’un échange de notes, un traité d’extradition par lequel l’Allemagne et la Russie s’engagent à se livrer réciproquement les criminels politiques, et la convention nouvelle a cela de significatif qu’elle s’applique, non-seulement à ceux qui ont préparé des attentats ou commis des meurtres politiques ou tramé des complots, mais encore à ceux qui se seraient rendus coupables d’outrages envers le souverain ou un membre de sa famille. Ce que la Russie et l’Allemagne ont fait par voie de convention diplomatique, l’Autriche n’était pas absolument libre de le faire par suite de circonstances toutes particulières. Le gouvernement cisleithan, représenté par le comte Taaffe et le comte Kalnoky, avait à ménager les Polonais de la Galicie, qui sont une des forces de sa majorité parlementaire ; mais, s’il n’est pas engagé diplomatiquement avec l’Allemagne et la Russie, il entre évidemment dans la ligue défensive et il exécute à sa manière les conventions de Skierniewice par deux lois qu’il vient de présenter au parlement de Vienne contre toutes les menées révolutionnaires et socialistes. Ces nouvelles lois autrichiennes, qui se rattachent manifestement au traité d’extradition russo-allemand, mettent à la disposition du gouvernement toute sorte de moyens de répression administrative et judiciaire contre ceux qui fabriquent et emploient la dynamite, contre les membres des associations secrètes et les fauteurs de complots, contre les propagandes socialistes. La liberté de la presse, la liberté de réunion et d’association sont provisoirement mises sous le séquestre en Autriche comme en Allemagne.

Et voilà comment les révolutionnaires de la dynamite travaillent aux progrès des nations ! Autrefois, le droit d’asile était respecté ; les conspirateurs politiques avaient le privilège de trouver un refuge hors de leur pays. Aujourd’hui on est arrivé à ce point que les traditions libérales sont mises de côté dans un intérêt de défense commune. Et qui sait si, avant peu, l’Angleterre elle-même, qui a déjà un bill sur les matières explosibles, ne sera pas conduite à se montrer moins jalouse de l’inviolabilité traditionnelle du sol britannique ?


CH. DE MAZADE.