Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 67.djvu/714

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

majorité dans le Calvados ; mais M. le duc de Broglie est resté sur le champ de bataille, et avec lui quelques autres conservateurs ont perdu leurs sièges dans la Dordogne, dans la Charente-Inférieure. C’est la grande victoire fort célébrée au camp officiel ! Les dernières élections sénatoriales ne sont donc pas conservatrices, à ne considérer que le résultat matériel et immédiat du scrutin. Sont-elles républicaines ? Elles le sont assurément ; elles sont même, si l’on veut, ministérielles, opportunistes, en ce sens que, si elles ne sont pas conservatrices, elles ne sont pas non plus révolutionnaires, puisque les radicaux de province qui se sont présentés avec le programme des élections parisiennes ont eu vraiment peu de succès. Toute la question est de savoir ce qu’il y a réellement dans ce fait, qui semble assez compliqué, qui l’est certainement, et qui n’est en définitive que l’expression de l’état général de l’opinion. Au fond, que veut et qu’a voulu dire le pays ? Il a traduit ses perplexités et ses embarras dans son vote. En choisissant les candidats républicains qui se sont présentés à lui, le plus souvent avec l’appui de l’administration, il a donné son suffrage au gouvernement légal plutôt qu’à ceux qu’on lui a représentés comme disposés à renverser la république au risque d’une révolution qui est toujours pour lui un inquiétant inconnu. Il a prêté le concours qu’on lui demandait ; mais il n’a sûrement pas voulu voter pour tout ce que bien des républicains mettent sous ce nom de république, pour les aventures sans issue, pour la désorganisation de l’armée, pour les guerres religieuses sans fin, pour les agitations révolutionnaires des réunions publiques, pour les dépenses démesurées, pour le désordre financier et pour les nouveaux impôts qui en sont l’inévitable conséquence. A dire vrai, le pays tel qu’il est, tel qu’il apparaît, représente une masse conservatrice par tous ses instincts, par son essence, et donnant son appui au gouvernement qui existe, pour obtenir de lui la stabilité qu’il désire, la sécurité dont il a besoin, la paix qui est la garantie de son travail et de son industrie, l’ordre dans sa vie intérieure comme dans les finances publiques. C’est tout le secret de l’antipathie qu’il a témoignée pour les radicaux aux élections dernières, antipathie qui n’est point allée cette fois encore jusqu’à le pousser vers les conservateurs de tradition et d’opinion, mais qui peut le conduire un jour ou l’autre à des manifestations plus accentuées. De telle façon que ce scrutin du 25 janvier, qui est certainement encore une victoire républicaine, peut en même temps passer pour un avertissement donné à ceux qui se sont chargés de diriger la république.

Les républicains, qui, avec des entraînemens souvent dangereux et des idées fausses, gardent quelque prévoyance, quelque raison, sentent bien eux-mêmes que la France n’est pas faite pour être traînée d’aventures en aventures, d’agitations en agitations jusqu’à un radicalisme destructeur. Ils comprennent que le premier danger est de laisser