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de la brigade Achard, du 34e, du 35e, d’un escadron de cavalerie et de deux pièces de campagne, devait marcher, sous les ordres du général Clauzel, dans la direction de Koléa ; l’autre, comprenant le reste des troupes, le convoi, les blessés, les prisonniers, les fugitifs, sous le commandement du général Boyer, avait ordre de gagner Alger directement. La première, arrêtée dans sa marche par des marais qu’elle ne put traverser, fut forcée de se rejeter à droite ; le soir, elle vint prendre ses bivouacs à Sidi-Haïd, à côté de l’autre colonne. Celle-ci avait marché lentement, obligée de régler son allure sur le pas traînant des fugitifs de Blida. Ils étaient quelques centaines, Maures et juifs, les riches avec des mulets de bât, les pauvres leur petit bagage sur l’épaule ; des vieillards, des femmes, des enfans étaient entassés sur les caissons de l’artillerie, sur les prolonges du train ; mais il n’y avait pas de place pour tous ; des Mauresques, des juives, jambes nues, pieds nus, déchirées par les ronces, un enfant dans les bras, d’autres accrochés à leur vêtement, se traînaient plus qu’elles ne marchaient ; trébuchant, tombant, n’ayant plus la force de se relever ; alors, émus de compassion, les officiers, les cavaliers mettaient pied à terre et hissaient sur leurs chevaux ces pauvres créatures. Seuls, impassibles comme le fatalisme, Bou-Mezrag et les prisonniers de Médéa, l’agha et ses chaouch, passaient à côté de toutes ces misères mornes et silencieux. Ce soir-là et le lendemain, dans les premières heures du jour, incertaine jusqu’à ce moment du sort des cinquante canon-nière qui, sur l’ordre du général en chef, s’étaient aventurés dans la plaine, l’armée acquit la preuve de leur épouvantable fin. Au-delà des ponts de Bou-Farik, avant d’arriver au marabout de Sidi-Haïd, on avait rencontré les premiers cadavres, nus, sans tête, sans pieds, sans mains, percés, hachés, à demi dévorés par les hyènes et par les chacals. On retrouva successivement, semés sur la route, tous les autres : le capitaine Esnaut fut relevé le dernier, un peu plus loin que Birtouta. Les massacreurs étaient des Arabes de Beni-Khelil ; à Sidi-Haïd, ils avaient commis un crime encore plus atroce : aux branches d’un olivier était pendu par les pieds le corps d’une cantinière.

Le 29 novembre, au milieu du jour, les troupes rentraient dans leurs cantonnemens. La population juive d’Alger s’était portée à leur rencontre, avec des acclamations pour les vainqueurs et des injures pour les vaincus ; Bou-Mezrag, la tête haute, promenait sur les insulteurs un regard méprisant. Au contraire des juifs, les Maures, à très peu d’exceptions près, s’étaient renfermés dans leurs maisons ; le triomphe des roumi était un deuil pour tout bon musulman. Depuis le départ du corps expéditionnaire jusqu’à son