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principe que le jour où l’on ferait quelque chose, le mieux serait de choisir pour exécuteurs de jeunes célibataires, attendu que, s’il leur arrive malheur, ils ne laissent pas derrière eux une femme et des enfans que le parti doit nourrir.

En vertu de cette même loi de 1878, la police a le droit d’interdire ou de saisir les collectes destinées à la propagation des doctrines subversives. Quand il fallut trouver de l’argent pour envoyer au Niederwald Küchler et Rupsch, toutes les bourses s’ouvrirent, et Dieu sait pourtant qu’on n’était point riche. La plupart ne savaient pas précisément de quoi il retournait, mais ils devinaient tous qu’on s’occupait de monter un coup, et le teinturier Söhngen donna 8 marcs, le rubanier Rheinbach en donna 9 et quelques pfennigs. Chacun vida ses poches ; aux 32 marcs qu’on eut bien vite réunis s’en ajoutèrent 40 généreusement avancés par le tisserand Palm. On assure que ce dernier entretenait de secrètes intelligences avec la police, que ses dénonciations ont singulièrement facilité l’instruction du procès. Si le fait est exact, il faut convenir que Palm est le plus dangereux des agens provocateurs et que les commissaires de police qui le prennent à leur solde jouent gros jeu.

M. Most devra prêcher longtemps encore les anarchistes allemands avant qu’ils aient appris « des nobles jeunes gens russes D qu’il leur propose pour modèles à honorer leurs (crimes par la hauteur de leur courage et l’audace de leur impénitence. Les anarchistes d’Elberfeld, à l’exception d’un seul, ont fait une triste figure devant le tribunal de Leipzig. Dès le jour de leur arrestation, Rupsch et Küchler n’ont plus songé qu’à sauver leur tête ; ils ont scandalisé leurs juges par la bassesse de leurs excuses et leur acharnement à se charger l’un l’autre. Rupsch, s’il faut l’en croire, n’avait accepté l’aimable mission qu’on lui confiait que pour faire un voyage d’agrément au Niederwald, pour assister à la fête, pour contempler l’empereur, qu’il n’avait jamais vu. Se sentant surveillé par son incommode et farouche compagnon, il feignit d’allumer la mèche avec son cigare, qu’il avait eu la précaution de laisser s’éteindre. Küchler l’ayant sommé de renouveler sa tentative, il eut soin cette fois de couper la mèche par le milieu pour que le feu ne se communiquât pas à la dynamite. Si l’on s’en rapporte au témoignage de Küchler, c’est lui qui a fait avorter le complot. Pour empêcher Rupsch d’accomplir son horrible projet, il a exigé que la bouteille et la cruche fussent déposées dans un drain ; il comptait bien que la pluie qui était tombée et qui tombait encore noierait la mèche. Küchler et Rupsch, Rupsch et Küchler, ces deux bons apôtres, se sont vantés chacun à son tour d’avoir sauvé la vie à leur empereur. Les nihilistes russes font meilleure contenance ; ils tuent, mais ils savent mourir.