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long d’une haie, en bras de chemise, riant aux éclats sans motif appréciable ; il nous salue d’un éclat de rire plus fort encore, mais ne change rien à sa promenade. Il se dit très heureux, et sa mine parle comme ses lèvres. Dans le même village, nous voyons un jeune homme devenu aliéné par chagrin d’amour, sa fiancée l’ayant laissé pour en suivre un autre. Il compte toujours la revoir ; il est très vif, et son intelligence ne parait aucunement affaiblie. Il demeure à côté du petit cours d’eau, près d’un moulin. Sa chambre est grande et bien tenue ; il la montre avec plaisir. Cette maison encore respire l’aisance, bien que nous soyons chez des paysans et des cultivateurs.

A la suite de cet aliéné, nous en voyons trois ou quatre, dans des maisons voisines, appartenant à des paysans moins aisés que les précédens. Ce sont des vieillards plus ou moins impotens, ils ne peuvent guère s’occuper aux gros travaux, aussi restent-ils à la maison pour éplucher les pommes de terre du déjeuner. Aliénés taciturnes, tranquilles, chez qui l’âge contribue beaucoup à affaiblir l’intelligence. Ils sont assis sur des chaises ou des bancs, près du fourneau, et font leur petite besogne méthodiquement et sans s’étonner de nous voir. Leurs chambres sont petites, assurément, mais elles ne sont pas mal tenues ; le carrelage est lavé à l’eau, les vêtemens pendus avec soin.

Nous visitons ensuite une ferme isolée dans la campagne, renfermant un aliéné assez âgé déjà, mais fort curieux. Lui aussi, épluche des pommes de terre, assis au coin d’une grande cheminée où pétille le bois qui chauffe la chambre, qui sert de fourneau de cuisine en même temps. Ce vieillard est très vif encore. Il se prétend guérisseur de maux et raconte un certain nombre de ses cures merveilleuses. Parlant d’abondance dans un jargon mi-allemand, mi-français, teinté de flamand, il débite un certain nombre d’histoires plus extraordinaires les unes que les autres. Ceci l’amène, par quelle transition, Dieu seul et lui le savent, à raconter ses fredaines de jeunesse. C’est un récit qu’il était plus aisé de deviner que de comprendre ; aussi la transcription en serait-elle difficile, sans compter qu’elle serait peu édifiante. Puis, revenant à ses moutons, c’est-à-dire à ses cures merveilleuses, il éprouve le désir de nous en expliquer une qui est particulièrement étonnante et qui a trait à une maladie de la hanche. Seulement, au cours de son exposé, il commence à vouloir ôter son pantalon pour mieux faire saisir, pièces en main, la finesse opératoire du procédé par lui inventé. Impossible de le faire renoncer à son idée, aussi la fin de l’histoire nous demeure-t-elle encore inconnue.

Nous retournons à Gheel, voyant encore çà et là quelques