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aux cartes, aux boules, au billard ou tirer à l’arc. En un mot, l’aliéné placé chez un nourricier peut assister à beaucoup de distractions et en prendre sa part. Nous ne parlons pas des pensionnaires aisés qui ont, si la fantaisie leur en plaît, leur piano, leurs livres, leur boite à peinture, leurs chevaux et voiture, en un mot, tout ce qu’il leur plaît d’acheter.

C’est au nourricier de s’ingénier pour distraire son malade le dimanche, et cela est de l’intérêt de l’un et de l’autre. Il ne faut pas que le temps paraisse long à l’aliéné, il ne faut pas qu’il reste seul avec lui-même en proie à des pensées tristes, à des désirs de s’échapper. Certains hôtes s’y sont si bien pris que leur aliéné, une fois guéri, n’a pas voulu quitter Gheel : il n’y a pas de raisons pour que dans leur sphère plus modeste les nourriciers n’en puissent faire autant. En voici un exemple : en 1871, arriva à Gheel un docteur en droit ayant eu plusieurs atteintes d’aliénation mentale. Il fut placé chez un hôte, qui, entre autres distractions, lui procura souvent celle d’assister aux concerts du cercle musical de Gheel. L’aliéné était bon musicien : il jouait du violon et demanda à participer aux exercices du cercle. La diversion fut complète. Il s’y mit avec ardeur et eut beaucoup de succès. En 1872, il était guéri et pouvait s’en aller : il ne le voulut pas et resta à Gheel, près de son cercle musical ; il fut enfin nommé près le tribunal d’une ville de Hollande, en 1879 ; cela seul le décida à quitter le village où il avait résidé durant huit ans et où il s’était guéri grâce à une distraction saine et absorbante. Il est à noter qu’avant de venir à Gheel, ce magistrat avait d’abord passé seize mois dans un asile fermé, où son état s’était plutôt aggravé par suite de l’irritation que lui causait la réclusion.

La société d’harmonie de Gheel a également compté parmi ses fondateurs, vers le début du siècle, un aliéné ; ce malade, nommé Colbett, se fit entendre un jour à quelques amateurs de musique. C’était, paraît-il, un artiste, car, avec l’aide d’un autre aliéné musicien et appuyé par un amateur de boa vouloir, il réussit à créer la société d’harmonie qui existe encore aujourd’hui et qui possède dans sa salle le portrait de Colbert, son principal fondateur. Que ce soit la musique ou les jeux, la promenade ou la lecture, Gheel offre aux nourriciers véritablement désireux de distraire leurs malades des ressources suffisantes. A eux d’en user et de comprendre l’intérêt qu’ils y ont et le profit qu’en peut retirer l’aliéné.

Il nous reste à parler des inconvéniens, au point de vue de la moralité, que peut présenter le mélange constant de la population aliénée avec la population sensée.

De temps en temps, on observe des cas de grossesse ou des faits