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qui préoccupera l’habitant de Gheel. En effet, M. le docteur Peeters n’a connaissance que de trois cas de crimes depuis un temps extrêmement long.

Au point de vue de la sûreté personnelle des aliénés, il y a des réserves à faire. Ainsi, il arrive trop souvent que les débitans leur vendent des spiritueux ; le fait, si rare qu’il puisse être, est toujours grave, car il implique un manque de surveillance. Si un monomane arrive presque aussi facilement à se détruire lorsqu’il est enfermé que lorsqu’il jouit de la liberté de Gheel, il est impossible, ou peu s’en faut, à un aliéné alcoolique, de boire des spiritueux dans un asile fermé. Il faudrait à Gheel, comme nous l’avons déjà dit, un nombre plus considérable de gardes de section pour surveiller la population sensée aussi bien que celle des insensés. C’est par ce moyen seulement qu’on arrivera à réprimer certains des inconvéniens inhérens au modus vivendi même de Gheel. Il ne faut pas trop compter sur un débitant pour refuser de livrer des spiritueux.

Les évasions sont loin d’être rares : en six ans (1876-1881), il s’en est produit cinquante-six, soit, en moyenne, plus de neuf par an : Jules Duval indiquait une moyenne de six à huit évasions par an en 1857, mais à cette époque la population de Gheel n’était guère que de huit à neuf cents malades, c’est-à-dire la moitié de ce qu’elle est maintenant.

Quand un aliéné manifeste des tendances à l’évasion, on le renvoie dans un asile fermé plutôt que d’employer à son égard des mesures de coercition. Un point à noter, c’est que, dans huit cas sur dix, les tentatives d’évasion ont lieu le dimanche. Or il arrive assez souvent, — surtout cela arrivait plus que cela n’arrive actuellement, — que les nourriciers ne se préoccupent pas assez de l’aliéné pendant la journée du dimanche ; ils vont s’amuser de leur côté, laissant leur pensionnaire se distraire comme il peut. Cela est mauvais pour lui ; il n’a pas le travail quotidien pour l’occuper ; il est peut-être timide et ne connaît personne : les idées d’évasion s’emparent alors de lui. Le remède à ce mal est bien simple, il faut que les nourriciers comprennent que si l’aliéné a travaillé la semaine avec et pour eux, il est juste et humain de le laisser participer aux amusemens du dimanche, que ce soient promenades, jeux ou autres genres de divertissemens.

Si Gheel n’est pas d’une gaîté folle, on y trouve cependant amplement de quoi distraire l’aliéné le dimanche. C’est ainsi que le nourricier peut l’emmener à la kermesse quand elle a lieu, à la foire, au marché, aux fêtes des villages voisins, aux jeux, aux processions, au cabaret pour lire les journaux, pour jouer aux dominos,