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somme qui paie leur travail de la semaine : d’autres fois, on les paie en tabac, en sucre, en œufs, en bière, ou encore en vêtemens à leur choix. Le personnel administratif et médical est tenu de veiller à ce que tout travail utile des aliénés soit récompensé par un cadeau ou par de l’argent, ce n’est que stricte justice.

Pour mieux réglementer la question du travail des aliénés, il faudrait ne les laisser travailler qu’un certain nombre d’heures par jour (sept ou huit par exemple), et en désignant la nature du travail qu’ils peuvent exécuter. Le médecin devrait avoir, d’une manière absolue, la haute direction de cette partie du traitement, qui est très importante, et dont on a depuis longtemps reconnu l’utilité dans les asiles fermés. Mais cela suppose une connaissance complète de l’aliéné, des visites fréquentes pour constater l’état de ses forces et l’influence exercée par le labeur sur son état mental ; cela suppose enfin un personnel de surveillans plus nombreux.

Les règlemens d’ordre intérieur auxquels sont soumis les aliénés sont fort simples. En hiver, ils peuvent sortir de huit heures du matin à quatre heures du soir ; en été, de six heures du matin à six heures du soir. Il peut y avoir des dérogations à ce règlement si le comité permanent n’y voit pas d’inconvéniens. La fréquentation des cafés n’est permise qu’aux aliénés tranquilles : il est défendu de leur donner des spiritueux. A coup sûr, ce ne sont pas là des règlemens bien pénibles à observer. En somme, sauf quelques restrictions énumérées plus haut et qui s’adoucissent encore dans la pratique, l’aliéné jouit d’une liberté considérable à Gheel. Celui qui n’a pas le désir de travailler la terre et à qui son éducation a pu donner des besoins de lecture ou des goûts artistiques est libre de disposer de son temps comme il l’entend. Fait-il beau, il va se promener soit à Gheel, soit dans la campagne environnante, seul ou en compagnie d’un ami. Il est permis de se demander si ce régime de liberté, — qui, cependant, ne va pas jusqu’à laisser prendre à l’aliéné un billet de chemin de fer pour s’en aller où bon lui semble, — ne présente pas d’inconvéniens pour le malade lui-même, c’est-à-dire pour sa propre sûreté, ou pour la santé et la moralité de la population de Gheel.

Les suicides sont très rares : depuis 1879, il n’y en a pas eu un seul : il y en a eu trois de 1875 à 1879 ; d’autres se sont produits en 1850 et 1851. D’actes de violence, depuis 1878, il n’y en a pas à citer : ce n’est pas à dire qu’il n’y en ait jamais eu ; ainsi, en 1844, le bourgmestre de Gheel, qui était en même temps pharmacien, fut assassiné par un aliéné herboriste, jaloux de la concurrence que lui faisait le bourgmestre. Mais, comme le remarquait déjà Jules Duval, ces attentats sont des plus rares, et ce ne sera jamais le risque d’être assassiné