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des guérisons soit peu considérable, cependant les maisons qui avoisinent Saint-Amand sont encore extrêmement recherchées pour loger les aliénés qui sont conduits à Gheel.

« Les aliénés sont confiés aux habitans de la commune, avec lesquels les parens de ces malades passent une sorte de contrat. Les habitans se chargent d’un, de deux, de trois, jusqu’à cinq pensionnaires ; jamais au-delà. Si ces infortunés sont agités ou sales, ils sont couchés sur la paille ou sur un sac rempli de paille hachée. Ce lit est placé dans un réduit de la maison plus ou moins approprié pour cet usage ; lorsqu’ils sont propres, ils couchent dans des lits comme leurs hôtes et mangent avec eux. Ceux qui habitent dans la ville sont beaucoup mieux que ceux qui logent chez les paysans. J’en ai vu qui étaient bien logés, bien couchés, mais le plus grand nombre est très mal. La plupart de ces malheureux sont nourris comme les paysans du pays ; dans la ville, la nourriture est meilleure, et ordinairement c’est la même que celle des personnes chez lesquelles ils habitent.

« Les aliénés, hommes et femmes, errent librement dans les rues, dans la campagne, sans que personne, y paraisse prendre garde, lors même qu’ils ont des entraves aux pieds. Cherchent-ils à s’évader, ont leur met des freins ; sont-ils furieux, on les enchaîne des pieds et des mains, alors ils ne sortent point, à moins qu’ils ne logent dans une ferme très isolée ; malgré ces moyens de contrainte, il arrive souvent que les aliénés s’égarent ou s’échappent ; les gendarmes des communes environnantes en arrêtent à deux ou trois lieues et les ramènent à leur domicile.

« Les fous qu’on conduit à Gheel sont généralement depuis longtemps regardés comme incurables. Ils ont ordinairement été déjà traités sans succès. Autrefois on venait chercher un miracle, aujourd’hui on demande un dernier asile. Les médecins du pays ne sont appelés que lorsqu’il survient quelque maladie accidentelle ; néanmoins M. de Backer et, ses confrères en ont traité quelques-uns lorsque les familles les en ont chargés.

« La démence est l’espèce la plus fréquente, les suicides sont très rares ; il y a trente ans qu’un aliéné se coupa la gorge.

« Les maniaques guérissent en plus grand nombre que les autres aliénés, sinon leur agitation les précipite dans la démence. Il se guérit peu de monomaniaques, il en guérit moins encore, lorsqu’ils sont en proie à des idées religieuses. L’on a vu quelques folies intermittentes guérir lorsqu’on a pu déterminer l’aliéné à travailler à la terre pendant l’intermittence. Aussi la proportion des guérisons est plus considérable parmi les aliénés qui demeurent chez les paysans, quoique d’ailleurs ils soient moins bien soignés.