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GHEEL

UNE COLONIE D'ALIENES


I

Les personnes qui ont entendu parler de la célèbre « Colonie d’aliénés » belge s’en figurent malaisément l’aspect et la topographie. On est toujours tenté d’évoquer une vision de hautes murailles, de portes garnies de ferrures solides, de fenêtres grillées, pour se représenter un asile d’aliénés, de même que l’on imagine un visage hagard, des yeux flamboyans et une marche désordonnée pour se représenter l’hôte de ces lieux.

Ce n’est pas ainsi qu’il faut se représenter Gheel.

Qu’on se figure donc une petite ville de cinq ou six mille âmes, qui ne diffère en rien des autres villes de même importance, entourée d’un certain nombre de hameaux renfermant à peu près autant d’habitans. Ces habitans ont adopté depuis un temps fort reculé l’habitude de prendre des aliénés en pension chez eux, dans leur maison. Ces aliénés vivent en contact constant avec la famille de leur hôte : ils en partagent les travaux et les plaisirs si cela leur plaît et surtout si leur état le leur permet ; ils vont et viennent, jouissant d’une liberté presque absolue. Dans l’intérêt même des aliénés autant que de la population de Gheel, il a fallu depuis longtemps organiser des services administratifs et médicaux pour empêcher l’envoi à Gheel des malades dangereux, pour soigner les