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surprise, de curiosité, d’attrait craintif qu’éprouve la petite fille confidente des divagations de ce squelette-fée auquel, dans un élan de pitié, elle donne un jour le baiser qui arrachera une dernière larme à ces yeux sans regard, impatiens de se fermer :

— Que Dieu ne vous laisse pas languir comme moi, après tous les vôtres, dans une si longue vie que vous ayez oublié tout, même que jadis vous fûtes un enfant !

Ce monde est une école qui nous prépare à de plus larges sphères ; la leçon est presque interminable pour lady Ferry. Nous apprenons cependant avec un soupir de soulagement qui prouve aux gens les plus épris de la vie combien un pareil sort serait redoutable, que cette leçon aride et désolée a eu tardivement une fin, que l’immortelle est morte.

Un souci du simple et du vrai qui la poursuit à travers les caprices mêmes de la fantaisie, une conclusion morale ingénieusement amenée, voilà ce qui assure aux livres de miss Jewett leur juste renommée de bons livres. Reste à savoir si elle réussira dans le roman comme elle a réussi dans ses esquisses champêtres, où la philosophie et l’humour s’allient à l’élément pittoresque toujours surabondant. Ses petites nouvelles Old Friends and new trahissent plus d’une maladresse, plus d’une faute contre l’ordonnance. Le sujet qu’elle ne sait ou ne veut pousser, disparaît sous les digressions ; elle passe systématiquement à côté des scènes violentes. On s’en aperçoit surtout dans l’Amant perdu, où une situation pathétique tourne court avant le point culminant et, à notre regret, demeure suspendue plutôt que dénouée ; c’est bien pis encore dans l’histoire de la femme-médecin, le seul ouvrage de longue haleine qu’ait produit cette plume pénétrante, mais non pas créatrice. Passion, mouvement, variété, il ne faut demander rien de tout cela au Village Doctor. Toute la séduction douce du talent de miss Jewett parait s’être concentrée sur un but : obtenir la grâce de la femme forte, de la femme libre, montrer ce que lui coûtent sa force et sa liberté, combien de vertus féminines continuent à fleurir sous les mâles facultés acquises au prix de sacrifices qui forcent notre respect, sinon notre sympathie.


III

Le premier chapitre s’annonce pourtant dramatique, comme si l’auteur se proposait d’échapper une bonne fois à la méthode discursive qui lui est chère et d’entrer résolument dans l’action :

« La journée avait été chaude, presque étouffante, ainsi qu’il arrive quelquefois chez nous en novembre, un mois bizarre, qui est à lui seul un abrégé de tous les autres, avec ses changemens