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était parvenu à soudoyer un certain nombre de Bleus, afin de faire renaître la division parmi les insurgés, Justinien crut que sa vue et une promesse d’amnistie apaiseraient le peuple révolté. La multitude tenait dans l’Hippodrome une assemblée tumultuaire. Soudain l’empereur, escorté de gardes nombreux, apparut à la tribune, tenant entre les mains le livre des Évangiles : « Par ce livre sacré, dit-il à haute voix, je jure que je vous pardonne l’offense que vous m’avez faite ; aucun de vous ne sera inquiété ni recherché si vous rentrez dans l’obéissance. » Et, continuant, Justinien abaissa la majesté impériale jusqu’à dire : « Je suis seul coupable, vous êtes innocens. Ce sont mes péchés qui m’ont attiré ce malheur en fermant mes oreilles à vos trop justes plaintes. » À ces mots, quelques cris de : « Victoire à Justinien et à son épouse, l’Augusta Théodora ! » se firent entendre dans la foule, bientôt couverts par les huées, les menaces et les clameurs furieuses : « Tu mens, âne ! — Mort au blasphémateur ! — Mort à l’assassin ! » Quelques difficultés que présentât l’escalade de la tribune, Justinien n’attendit pas davantage pour rentrer dans le palais.

Alors le peuple, pressé de se donner un nouveau maître, se porte vers la demeure d’Hypatius, neveu de l’empereur Anastase. L’ambition et la crainte luttent dans l’esprit d’Hypatius. Il hésite, mais il se laisse faire. En vain, sa femme en larmes s’écrie qu’on le mène à la mort, les rebelles l’entraînent ainsi que son frère Pompée. Le cortège fait halte dans le forum de Constantin ; on élève Hypatius sur un bouclier, on le proclame empereur. A défaut de diadème, on lui pose un collier d’or sur le Iront. La foule veut marcher incontinent sur le palais pour en finir avec le tyran déchu. Un sénateur, car plusieurs magistrats s’étaient ralliés à l’insurrection, arrêta cet élan. « Attendons, dit-il, que nous ayons plus d’armes. D’ailleurs, Justinien ne songe pas à nous attaquer. Bientôt, il sera trop heureux de fuir pour sauver sa vie. Si nous ne nous pressons pas de combattre, nous triompherons sans combat. « On écoute l’avis, et pour continuer la parodie du couronnement, on entre dans l’Hippodrome. Hypatius, hissé sur la tribune impériale, reçoit les ovations de ses nouveaux sujets.

Cependant, au fond du Palais-Sacré, Justinien est dans les affres de la peur. Concessions, résistance, menaces de châtiment, promesses de pardon, embauchage, humiliation de soi-même, il a tout employé, rien n’a réussi. Du côté de la Chalcé, les flammes environnent son palais ; du côté de l’Hippodrome, il entend les cris de mort proférés contre lui et les acclamations qui sacrent son successeur. On venait de piller l’arsenal, et les insurgés s’armaient. Justinien n’est séparé de la foule furieuse que par la porte de bronze du Kathisma. Contre un peuple entier que lui reste-t-il