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ne t’en offense pas, ô trois fois auguste : Dieu n’écoute-t-il pas tout avec patience ? .. Mais dis-nous pourquoi il n’y a pas de justice pour les Verts. — Vous mentez ! — Qu’on supprime la couleur que nous portons, et les tribunaux n’auront plus rien à faire. Il y a eu un meurtre ce matin ; c’est certainement quelqu’un de nous qui l’a commis… Nous sommes toujours condamnés… Tu es la fontaine de sang… Plût à Dieu que ton père ne fût jamais né, il n’eût pas engendre un assassin. — Vous allez mourir ! »

Les Bleus interviennent alors : « — Vous seuls êtes des assassins. — Non, C’est vous. — Non, c’est vous, vous seuls. — Qui a donc tué le marchand de bois ? — C’est vous. — Qui a tué le fils d’Epagathos ? — C’est vous, encore vous ! — O Dieu ! ayez pitié ! il n’y a plus de vérité.

— Dieu est étranger au mal, reprend sentencieusement par la bouche du mandator Justmien, qui ne perd pas de vue ses idées théologiques. — Si Dieu est étranger au mal, pourquoi vivons nos dans l’oppression Qu’on appelle un philosophe ou un solitaire pour résoudre la question. — Blasphémateurs ! ennemis de Dieu, vous tairez-vous ? — Si tu trouves que nous en avons dit assez, nous nous tairons, ô trois fois auguste… Porte-toi bien, Justice ! Maintenant tes arrêts sont nuls. Nous désertons et nous nous faisons juifs. Mieux vaut devenir gentils que d’être menés par les Bleus, Dieu le sait ! — Horreur ! s’écrient les Bleus. Nous ne voulons pas regarder de ce côté. Quelles envie on nous porte ! quelle outrage on nous fait ! » — ἀνανσϰαφῇ τὰ ὀστέα θεωρούντων ! (anaskaphê ta ostea theôrountôn !) s’écrient d’une seule voix les Verts, et après avoir proféré cette imprécation, en usage à Constantinople, ils quittent tout l’Hippodrome.

C’était la plus grave offense à la majesté impériale Justinien rentre aussitôt dans son palais, et les Bleus se retirent à leur tour On n’était encore qu’au milieu de la journée. Le préfet Eudémon, irrité de la scène qui s’est passée au cirque et dont il craint de porter la responsabilité, veut faire un exemple et surtout veut faire du zèle. Par ses ordres, on arrête trois individus plus ou moins soupçonnés d’être les assassins du marchand de bois et du fils d’Epagathos. On les juge sommairement et, séance tenante, on les condamne à mort. Des soldats de police les entraînent dans le vieux Byzance, sur la place des exécutions. Devant une masse de peuple qui contient à peine sa fureur, le bourreau pend le premier condamné. La corde casse sous le poids du second. La populace applaudit, se jette sur les gardes, délivre le patient ainsi que le troisième prisonnier. On les jette dans une barque qui les dépose sur l’autre rive du Bosphore, où ils trouvent un asile dans l’église de Saint-Laurent. Des deux condamnés, l’un appartenait à la